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et romaine, la propagation, par des versions en langue arménienne, des ouvrages des théologiens occidentaux, et la substitution du rite latin au rite national. Cette atteinte portée aux anciens usages liturgiques souleva dans le pays une vive opposition dont l’impulsion partit du couvent de Dathev, dans l’Arménie orientale, et dont les adhérens furent appelés, du nom de ce monastère, dathéviens ou dathévatsi. Au XVIIe siècle, au temps de la splendeur de Djoulfa, lorsque ce faubourg arménien d’Ispahan égalait en étendue la ville de Lyon[1], les religieux de presque tous les ordres qui se vouent en Europe aux missions y possédaient de riches maisons, de magnifiques églises, et y travaillaient activement et avec succès à ramener à eux les Arméniens. La destruction de Djoulfa par les Afghans en 1722, les exactions et les cruautés de Madir-Schah envers les Arméniens, les troubles et les révolutions qui ensanglantèrent la Perse pendant quarante ans après la mort de ce prince, les persécutions suscitées par les dissidens contre leurs frères catholiques, ont éloigné ces derniers de cette colonie, jadis si florissante, aujourd’hui en ruines.

Les Arméniens unis ont deux patriarcats : l’un établi autrefois à Sis et depuis transféré à Bezoummar dans le Liban, l’autre à Constantinople. Le patriarche de Bezoummar administre avec le concours de deux archevêques in partibus qui résident auprès de lui, et a pour suffragans les évêques d’Alep, Mardin, Amassia et Tokat. Sa juridiction s’étend sur la Syrie, la Cilicie et une partie de l’Asie-Mineure. Le siège de Constantinople est de création récente. Avant 1828, les Arméniens des deux communions étaient dans la dépendance d’un seul et même patriarche, organe des uns et des autres auprès de la Porte, et appartenant à la majorité dissidente. Ce double rôle devait avoir pour conséquence inévitable une partialité marquée de sa part en faveur de ses coreligionnaires et l’oppression de la minorité catholique. L’initiative de la mesure qui fit cesser cette anomalie, et qui émancipa les Arméniens unis, est due à la France, fidèle à sa noble mission de protectrice des intérêts catholiques dans le Levant. Les négociations auxquelles donna lieu cette mesure, conduites avec zèle par M. le comte Guilleminot, alors notre ambassadeur à Constantinople, eurent un plein succès. Des raisons de haute convenance s’opposant à ce qu’une puissance musulmane eût la présentation au saint-siège pour une dignité ecclésiastique, — d’un autre côté la Porte ne voulant pas se désister de ses précédens, qui attribuaient le choix du patriarche au suffrage de la nation et l’investiture du candidat élu au sultan, on leva la difficulté en partageant les

  1. Lettres édifiantes, t. Ier, édition du Panthéon littéraire, missions de Perse et d’Arménie.