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et 1805, respectèrent les mekhitharistes; mais la troisième invasion, en 1807, leur fut fatale. La congrégation fut dissoute par un arrêté du gouverneur des provinces illyriennes, le maréchal Marmont, et les membres, dépossédés de leurs propriétés[1], reçurent l’ordre de retourner en Orient ou de se rendre en Transylvanie. Babik, le supérieur, parvint à se réfugier à Vienne, sous la protection de l’Autriche, où il ne tarda pas à être rejoint par ses religieux. En 1810, l’empereur François II leur donna pour demeure un ancien couvent des capucins dans le faubourg de la Josephstadt. En même temps il ajouta à leurs anciens privilèges celui de pouvoir imprimer le bréviaire latin, droit que la Hongrie partage seule avec eux dans tout le reste de la monarchie autrichienne. Grâce aux ressources que ce privilège procura à la communauté, aux abondantes aumônes qu’elle recueillit en Orient et en Allemagne, grâce aussi à la protection et à la faveur de la famille impériale[2], elle prit dès lors un mouvement progressif, et est parvenue à un état florissant qui assure désormais son existence.


IV.

La pensée de Mekhithar, continuée par ses disciples après sa mort, a eu sur le progrès de la société arménienne contemporaine une action décisive dont je voudrais mettre ici en saillie les principaux résultats. Pour régénérer ses compatriotes et raviver en eux le sentiment de la nationalité, il s’était proposé, comme nous l’avons vu, deux moyens : l’éducation de la jeunesse, la restauration et la culture des lettres arméniennes. Avant de montrer ce que les mekhitaristes ont fait pour l’enseignement, occupons-nous d’abord de leurs travaux littéraires.

Mekhithar avait donné la première impulsion à ces travaux en composant, outre plusieurs ouvrages ascétiques, une grammaire arménienne, et, avec le concours de ses religieux, un dictionnaire de la même langue qui est resté comme un modèle pour la justesse et la précision rigoureuse des définitions. Sous son troisième successeur, le docteur Akonts Kôver, noble arménien de Transylvanie (1800-1824), la communauté, sans rien abandonner de sa constitution monastique, s’érigea en académie arménienne, en se donnant des

  1. D’après M. Boré (Correspondance et Mémoires d’un voyageur en Orient, t. Ier, p. 55), qui a visité les mekhiharistes de Vienne en 1839, et auquel ont été empruntés les détails que j’ai donnés sur ces religieux, le dommage que leur fit éprouver la confiscation de leurs propriétés peut être évaluée à 1 million de francs, sans compter la perte de leur mobilier et de leur bibliothèque.
  2. Le confesseur de l’impératrice, femme de François II, était un père mekhithariste.