Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orageux et brillans auspices. Il était beau[1], plein d’esprit et de courage. Destiné d’abord à l’église comme presque tous les cadets de grande maison, et comme l’avait été son oncle le prince de Conti, il se montra de bonne heure passionné pour les plaisirs et pour la guerre, et il fallut bien le laisser suivre sa vocation. Il devint le favori de Condé, l’espoir de sa famille, la joie, la crainte et la douleur suprême de sa mère.

Après sa conversion, Mme de Longueville, retirée en Normandie avec son mari, lui abandonna l’entier gouvernement d’elle-même et de ses enfans. M. de Longueville leur composa une maison convenable à leur rang, et mit à sa tête un gentilhomme normand, nommé M. de Fontenai, honnête homme, mais homme du monde, ami de Mme de Sablé et fort occupé de ses propres intérêts. Un jésuite très distingué et très aimable, le père Bouhours[2], était le précepteur du comte de Dunois, et l’abbé d’Ailly, avec lequel nous avons déjà fait connaissance, était celui du comte de Saint-Paul. Bientôt M. de Longueville désespéra de faire de son fils aîné un militaire; il songea pour lui à l’église, et, malgré tout ce que sa femme lui put dire, il le fit entrer au noviciat des jésuites. A la mort de son père, le comte de Dunois, qui avait dix-huit ans, ne voulut plus de la carrière que jusque-là il avait fort bien acceptée, et refusa de faire ses vœux. Tout le monde voulait que Mme de Longueville passât outre à cette résistance, qu’elle maintînt son fils aux jésuites, et transportât son titre avec tous ses avantages sur la tête du comte de Saint-Paul. C’était particulièrement l’avis de Condé, chef de la famille, et il pressait vivement sa sœur. La pauvre femme était dans la plus cruelle incertitude. Elle voyait bien que le comte de Saint-Paul pouvait seul sauver sa maison et le nom de Longueville, et elle était sensible à cette considération, l’instinct de son cœur la portait aussi de ce côté; mais elle avait une tendre compassion pour cet enfant si maltraité, et ses misères mêmes l’attachaient à lui davantage : elle espérait qu’il se fortifierait avec l’âge, et elle ne voulait pas le sacrifier à son frère. Et puis elle se faisait scrupule de lui imposer une profession sainte par des motifs humains; avec ses préjugés de janséniste, elle répugnait à faire de son fils un jésuite. Enfin, et c’est un motif qu’elle ose à peine exprimer, mais qui devait être bien puissant sur cette âme fière et délicate, la naissance de Charles de Paris, le comte de Saint-Paul, en 1649, dans la première vivacité de sa liaison avec La Rochefoucauld, avait donné matière à des bruits fâcheux qui se pouvaient ranimer

  1. On en a plusieurs portraits gravés : le meilleur est celui de Nanteuil d’après Ferdinand, qui le représente en 1660, à l’âge de onze ans.
  2. Voilà sans doute pourquoi Bouhours a écrit une relation de la mort de Henri II, duc de Longueville, Paris 1668, in-4o, reproduite dans ses Opuscules.