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comptait à peine parmi les derniers, ils n’atteindront qu’à demi leur but tant que l’entrée de la rivière ne sera pas en harmonie avec le port intérieur auquel elle conduit.

Vue du large, l’Orne débouche entre des dunes qui se prolongent à l’est et à l’ouest, et son chenal extérieur divague sur un talus de sable qui, dans les marées des équinoxes, assèche à près de à kilomètres du rivage. Les pointes sablonneuses du Siège et de Merville laissent entre elles une passe de 7 à 800 mètres de largeur, et en arrière, les marées, élargissant leur lit, forment au-dessous des villages de Sallenelles et d’Ouistreham une baie couverte du large, mais où le fond manque. La ligne que suivent aujourd’hui les navires parmi ces sables n’est ni celle qu’ils suivaient hier, ni celle qu’ils suivront demain. Chaque grande marée change le relief des bancs, chaque coup de vent déplace le chenal. Les meilleures posées se transforment d’une lunaison à l’autre en écueils, et, pour ne mentionner ici que des perturbations officiellement constatées, dans les trente années qui ont précédé la levée de la carte hydrographique de 1834, la pointe du Siège s’est avancée de 700 mètres vers l’est; dans les six années qui ont suivi, le chenal intérieur ouvert sous les murs de Sallenelles s’en est éloigné de plus de 200 mètres, et le creux en a été remplacé par un talus adossé au rivage.

Cette mobilité de l’atterrage est l’effet des combats que la mer et les vents y livrent sans relâche à l’inconsistance du fond. Les coups de vent du nord poussent vers l’embouchure de l’Orne des masses de sable auxquelles la terre ajoute un malencontreux contingent : lorsque dans les marées de quartier le soleil a desséché le haut de l’estran, les grands vents d’ouest en enlèvent, aussi bien que des dunes adjacentes, des sables qui courent comme une brume pesante et rapide vers l’embouchure de l’Orne, s’y affaissent, allongent la pointe du Siège et exhaussent le fond de la passe. L’atterrage serait bientôt perdu sans l’impétuosité qu’imprime au jusant la fréquente coïncidence des grandes crues de l’Orne avec les marées des équinoxes : le jusant balaie alors les sables étalés à l’embouchure, ou même, sapant la langue étroite du Siège, il la coupe et rétablit pour un temps la rectitude du chenal. Les conditions de la navigation changent ainsi en une lunaison, en une tempête, et c’est du plus ou moins d’exactitude des relèvemens journaliers des pilotes que dépend la perte ou le salut des navires.

Ces variations importeraient peu, si le chenal offrait toujours une certaine profondeur; mais il n’y monte que 5 mètres d’eau dans les marées moyennes des syzygies et 2 mètres 30 centimètres dans les faibles marées de quartier : l’année compte donc un grand nombre de jours où aucun bâtiment de plus de 2 mètres de tirant d’eau n’affronte l’entrée de l’Orne. Tel est l’état de l’atterrage de la