Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il sortiroit de religion, mais que pour la suite de sa vie il falloit que j’en conférasse avec messieurs mes frères, que je leur escrirois, et qu’il falloit attendre leur response. Il ne veut point d’académie[1], et dit que l’y mettre c’est le faire demeurer en religion, puisqu’il n’est entré en religion que pour éviter l’académie... Je suis assurée que monsieur mon frère m’accusera, parce que je ne menacerai pas mon fils de l’académie, de la guerre et de la cour; mais je ne puis estre d’avis, fait comme il est, qu’on l’expose à ces choses, ou pour mieux dire qu’on s’y expose soi-mesme par les affronts qu’il nous y ferait. Il n’y auroit ni conscience, ni honneur, ni profit, car il s’échapperoit et se jetteroit entre les mains de Mme de Nemours. Ainsi il vaut mieux que je le garde quelque temps auprès de moi. Il dit qu’il veut bien y estre, qu’il veut estre ecclésiastique, qu’il veut estudier. Il le faut prendre au mot pour l’estude, et voir ce qui se pourra faire de lui selon Dieu et selon les sentimens humains qu’on lui doit; car tout misérable qu’il est, il est mon fils, j’ai des devoirs vers lui, il faut les remplir. »


Quelques jours après, elle mande à Mme de Sablé qu’elle a écrit à son frère Condé, et elle lui envoie une copie de sa lettre. «J’y parle, dit-elle, comme une personne un peu émue. Il est vrai que je la suis, car on a toujours tourné tout ce que j’ai pensé sur la conduite de mes enfans en rêveries de dévote. J’étois décidée à le supporter; mais quand cela va à conduire tout chez moi par des vues différentes des miennes et de la justice, je ne crois pas le devoir souffrir. On a menacé mon fils de M. le Prince; c’est bien violenter les gens, car de lui dire que s’il ne soutient pas l’honneur de sa maison, M. le Prince sera son ennemi, n’est-ce pas lui dire : Ne sortez pas de religion, car le pauvre enfant n’est point un héros ? Il ne faut pas espérer de le rendre tel, mais le mener doucement, lui faire faire des choses qui ne lui soient pas disproportionnées et qui soient raisonnables en elles-mêmes, et en laisser après l’événement à Dieu. » Enfin, quand on veut dépouiller le comte de Dunois de la principauté de Neufchâtel pour la donner au comte de Saint-Paul, elle s’élève énergiquement contre une pareille prétention, et pousse un cri généreux où le secret de sa vie est bien près de lui échapper : « On me demande pour le comte de Saint-Paul des choses injustes et impraticables, comme de faire en sorte que mon fils lui donne Neufchâtel[2]. Voyez si je pourrois en honneur et en conscience lui proposer une telle chose, et mesme en politique, après tout ce qu’on lui a dit de moi. Mais il faut que tout périsse pourvu que le comte de Saint-Paul règne. C’est présentement leur idole; par la grâce de Dieu, ce n’est pas la mienne. »

Voulant tenter un dernier effort en faveur de cet enfant contre lequel tout le monde semblait conspirer, Mme de Longueville avait

  1. Sorte d’école préparant à l’état militaire.
  2. La principauté de Neufchâtel et Walengia appartenait à l’aîné de la maison de Longueville.