Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus fructueux dans les cantons de Troarn et de Dozulé. Quant à la navigation intérieure dont Troarn est le centre, elle s’abrégerait de 8 kilomètres sur 23, et de plus les marées, pénétrant dans les chenaux intérieurs par une voie plus courte et plus libre, y porteraient plus d’eau et remonteraient plus loin; les branches praticables de la rivière et de ses affluens s’allongeraient, et il deviendrait facile de faire arriver les bateaux jusqu’à Mézidon, où le chemin de fer de Tours à Caen se soudera bientôt à celui de Paris à Cherbourg. La navigation de la vallée gagnerait, ce qui importe davantage, un débouché qu’elle ne trouve plus dans le port désert de Dive; elle sortirait de sa langueur dès que les ramifications ouvertes dans le terrain d’alluvion aboutiraient par une tige commune à la baie fréquentée de l’Orne et au marché de Caen. Les renversemens alternatifs des courans dans les canaux où s’épandent les marées introduisent dans les transports des pays ainsi desservis des économies de temps et de frais qui sont une des sources les plus sûres de la richesse locale. La navigation générale ne perdrait au déplacement de l’embouchure de la Dive qu’un refuge dont l’accès est toujours difficile, souvent périlleux, quelquefois impossible : quand la vitesse des courans de flot attirés par le vide de l’embouchure de la Seine est accélérée par les vents d’ouest, il faut beaucoup de bonheur pour ne pas le manquer. Les atterrages de la Seine, de la Touque et de l’Orne sont d’ailleurs trop rapprochés pour qu’une station intermédiaire rende jamais aucun service essentiel.

Un grand bien s’acquiert rarement sans le mélange d’un peu de mal. Ici le sacrifice serait tout entier supporté par les communes de Dive et de Cabourg, dont le territoire enveloppe le havre qui se fermerait; encore n’est-il pas sûr qu’elles ne gagnassent plus à se rattacher par la Divette à la baie de l’Orne qu’à leur contact actuel avec la mer.

Le port et la ville de Caen gisent à 15 kilomètres au sud-ouest de la baie de l’Orne. Huet, le savant évêque d’Avranches, avoue à regret que l’antiquité n’a fait aucune mention de Caen, et en déplorant la perte des titres brûlés en 1336, lorsque la ville fut saccagée par Edouard III, il conjecture qu’elle fut fondée par les Normands[1]. Quand ces hardis pirates entrèrent dans l’Orne, ils accompagnèrent sans doute jusqu’au terme de sa course le flot qui les portait, et si leurs chefs montèrent, pour reconnaître le pays, sur le mamelon élevé où le duc-roi bâtit plus tard le château qui commande la ville, le tableau qui se déroula devant eux était fait pour les décider à se fixer. Des coteaux couverts d’arbres fruitiers, des

  1. Les Origines de la ville de Caen et des lieux circonvoisins. Rouen, 1712.