Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vint au loin dans la campagne à sa rencontre. Depuis, Caen n’a plus été déchiré que par les guerres de religion. Les protestans, soudoyés par les Anglais, s’y livrèrent en 1562 à deux jours d’un horrible pillage. Le maréchal de Matignon vint cicatriser ces plaies : sa loyale fermeté comprima les fureurs des partis, et son gouvernement fut le point de départ de la prospérité à laquelle s’élevèrent la ville et la province sous Louis XIV; mais en 1685, le commerce, qui en était une des bases principales, reçut de la révocation de l’édit de Nantes un coup dont l’administration constatait elle-même au bout de treize ans les funestes effets[1] : une bonne part) des capitaux et de l’industrie émigra avec les protestans. Vauban ne trouva plus à Caen que 25,000 âmes en 1700[2] : on y en comptait 31,900 en 1789, et la population actuelle est de 45,280.

Si l’histoire littéraire pouvait trouver ici une place, nous montrerions quels services la ville de Caen a rendus aux sciences et aux lettres dans notre pays. Son université, instituée en 1431 par Henri VI d’Angleterre, que l’infirmité de son âge et de son esprit n’appelait pas à cette mission, fut organisée en 1451 et dotée en 1457 d’une bibliothèque par le roi Charles VII. Dès 1480, la ville possédait une imprimerie. Sans parler de beaucoup d’établissemens secondaires, son académie fut fondée en 1652 par Segrais. Paris, dont le courrier n’arrivait à Caen qu’une fois par semaine, était en pleine guerre de la fronde, et devait être peu occupé de donner l’impulsion du bel esprit aux provinces; celles-ci s’animaient alors d’une vie qui leur était propre, et n’en allaient pas pour cela plus mal. Huet ne comptait pas en 1701 moins de cent quarante hommes illustres dans les lettres nés à Caen et morts à l’époque où il écrivait. La postérité a oublié plusieurs des élus portés sur cette liste; mais il suffit sans doute à la gloire de la contrée d’avoir vu naître Jean Marot, père de Clément, Bertaut, Boisrobert, Segrais, Mme Dacier, Huet, Varignon, Malfilâtre, Collet-Descotils, Vauquelin, Fresnel, Dumont-d’Urville, enfin Malherbe, qui vint redresser et polir la langue, et Laplace, dont le nom brille à côté de celui de Newton.

Lorsque Vauban voulut faciliter l’accès du port de Caen, il comprit que le mouvement maritime ne pouvait se développer qu’avec le concours du mouvement territorial, et, pour les mettre en équilibre, il proposa de canaliser l’Orne jusqu’à Argentan. Ce projet ne sera plus reproduit, aujourd’hui que les chemins de fer acquièrent une supériorité décidée sur les canaux, et que Caen devient le passage du chemin de Paris à Cherbourg et la tête d’une ligne de rails

  1. Mémoire sur la généralité de Caen, par M. Foucault, intendant, 1698. Bibliothèque impériale. Manuscrits.
  2. Mémoire sur la côte de Normandie, 1700. Manuscrits. Archives de la guerre.