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comte, après avoir averti le connétable et pris ses dispositions, se mit sur la piste des Anglais : à la pointe du jour, il était établi sur la colline qui domine Formigny du côté de l’ouest, et détachait vers Trévières un corps de quinze cents archers à la rencontre du connétable. Les Anglais rappelèrent immédiatement leur avant-garde, déjà partie pour Baveux, et se sentant près d’une action décisive, ils passèrent trois heures à se retrancher dans les jardins et les vergers dont le village était entouré. Le comte de Clermont avait une bonne raison de les laisser faire et de ne point presser l’attaque. Enfin le connétable, par une marche forcée de trente kilomètres, parut sur la gauche de l’ennemi, et le combat s’engagea aussitôt avec un acharnement inouï; chacun voyait les destinées de son pays suspendues à l’issue de cet effort suprême. Les Anglais firent des prodiges de valeur, mais leur artillerie, dès lors si redoutée, fut enlevée à l’arme blanche, la victoire se déclara pour nous; elle fut accompagnée d’un carnage sans merci, et les jours suivans quatorze fosses creusées sur le champ de bataille reçurent, au dire des hérauts et des prêtres qui présidèrent à ces funérailles sanglantes, 4,774 cadavres[1].

Vainqueurs et vaincus dormaient depuis trente-six ans sous cette terre glorieuse, lorsque l’un des derniers survivans de la génération de chevaliers qui avait affranchi notre territoire, «Jehan, duc de Bourbonnais et d’Auvergne, comte de Clermont, ayant à mémoire d’avoir, par la grâce et miséricorde de Dieu, gagné une journée au lieu de Fourmigny à l’encontre des Anglais, anciens ennemis de la couronne de France, pour son seigneur le roi Charles VIIe, fit édifier au champ et lieu où fut ladite journée une chapelle, et dota à perpétuité sur des biens distraits de son patrimoine deux chapelains pour célébrer chaque jour une messe, et aux jours de Saint-Louis et de la fête des Morts chanter un Libera me avec les oraisons et commémorations accoutumées pour les trépassés sur le lieu du champ où fut ladite journée. » — Cette fondation est datée du mois d’avril 1486 avant Pâques, et de Saint-Joyn en Poitou, où s’était retiré le prince. Elle ne fut pas respectée par la révolution. La chapelle fut vendue en 1795 par le gouvernement à un particulier qui en fit une grange; elle fut comprise en 1832 dans une vente plus considérable faite à M. Duny, riche propriétaire du voisinage. En 1844, M. Duny en fit hommage au roi Louis-Philippe, qui passait à Formigny se rendant à Cherbourg. Le roi la fit réparer à ses frais; la chapelle fut bénie à la fin de 1845, puis concédée à la paroisse, qui n’a pas les moyens de l’entretenir. Les détenteurs des biens sur lesquels est assise la fondation du comte de Clermont retiennent depuis 1793 des

  1. Chroniques d’Alain et de Jehan Chartier.