Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revenus dont la destination n’a pas cessé d’être à la fois nationale et sacrée. Dans un pays moins oublieux de son passé et moins ingrat envers ceux qui l’ont servi que le nôtre, il ne manquerait pas de bons citoyens empressés d’accomplir le vœu du vainqueur de Formigny et de rétablir les prières dues à ceux qui payèrent de leur sang notre indépendance.

Les conséquences de la bataille de Formigny furent aussi rapides qu’étendues : trois mois après, les Anglais avaient complètement évacué la Normandie. Deux corps échappés de Formigny se jetèrent dans les places de Bayeux et de Caen. Dunois investit Bayeux et laissa la conduite du siège au comte de Clermont. Celui-ci le poussa vivement et fut bientôt en mesure de donner l’assaut; les soldats le demandaient et le tentèrent même sans ordres; mais pour être depuis trente-trois ans au pouvoir des Anglais, la ville n’avait pas cessé d’être française : le comte voulait l’épargner; il parlementa donc, et, après plusieurs actions sanglantes, elle lui fut rendue. « Puis, dit Alain Chartier, s’en allèrent Matagon et les aultres Anglois de la garnison à Chierebourg, lesquelz estoient nombrez neuf cents des plus vaillans hommes qui fussent en Normandie de leur parti. S’en allèrent tous un bâton au poing, fors aucuns auxquels pour honneur de gentillesse on laissa des chevaux pour porter des damoiselles, gentilshommes et femmes : et avec ce firent les seigneurs françois délivrer des charrettes pour porter partie des femmes des Anglois qui s’en alloient avecques leurs maris, lesquelles il faisoit piteux voir; car il partit de ladite cité trois à quatre cents femmes sans les enfans dont y avoit grant nombre : les unes portoient les petits en berseauLx, les moyens par le paovre col et les grandelets en leurs mains, qui estoit grant pitié. » L’on conserve des boulets de ce temps dans la cour de la bibliothèque de Bayeux, qu’on ne saurait nommer sans rappeler qu’elle possède la célèbre broderie dans laquelle la reine Mathilde a retracé les événemens de la conquête de l’Angleterre. Ces boulets sont en pierre; le volume est à peu près celui de nos bombes et correspond à des pièces du calibre de celles qu’on voit au Mont-Saint-Michel.

Bayeux, dont on fait remonter l’origine au-delà de César et dont l’histoire est féconde en événemens tragiques, n’est plus qu’une ville calme et reposée, fière à bon droit de ses édifices religieux, riche plutôt que prospère, satisfaite du présent et modérément ambitieuse pour l’avenir. Sa population est de 9,360 âmes et n’a pas sensiblement varié depuis le commencement de ce siècle.

Quoique Bayeux ne soit pas à plus de 9 kilomètres de la mer, ce voisinage n’a pas donné grande impulsion à la navigation. Port-en-Bessin lui sert de port, et le mouvement maritime n’y comprend