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écrit de nouveau à son frère, et elle avait eu le soin d’adresser à Mme de Sablé une copie de cette seconde lettre comme de la première, en lui disant, ainsi qu’elle a coutume de le faire dans toutes les occasions un peu intéressantes : « Au nom de Dieu, brûlez mes lettres. » Suivant son usage, Mme de Sablé n’en avait rien fait, et nous avons retrouvé dans les portefeuilles de Valant les deux lettres de Mme de Longueville à Condé avec cette note du docteur : « Lettre de Mme de Longueville à M. le Prince sur le sujet de son fils qui vouloit sortir des jésuites; — deuxième lettre de Mlle de Longueville du 29 juillet 1664. C’est sur le sujet de M. son fils. Copié. Collationné. » Ce sont de véritables mémoires dont le style est tout simple, naïf, familier, sans l’ombre d’affectation ni de déclamation. Une émotion vraie, à peine marquée; point de traits saillans, pas un mot à effet, une perpétuelle négligence, mais en même temps une force intérieure qui paraît sans jamais se montrer, avec ce haut ton que nous avons déjà signalé. Nous le répétons : ce ne sont point les petits chefs-d’œuvre nets, sémillans, étincelans de Mme de Sévigné, ni la simplicité élégante et sobrement parée de Mme de La Fayette et de Mme de Maintenon; c’est l’effusion naturelle d’une grande âme, mal semé par une plume inexpérimentée. Mme de Longueville paraît ici dans toute la délicatesse et la fierté de son caractère. Nous ne voudrions pas faire de comparaisons ambitieuses, mais nous dirons que, si on est à genoux devant la Pauline de Corneille, placée entre Polyeucte et Sévère, et faisant taire le penchant de son cœur pour n’écouter que le devoir, on ne peut refuser son admiration à cette mère infortunée et magnanime, aux prises avec toute sa famille, pour ne pas faire ce qu’au fond du cœur elle désire, et pour soutenir un malheureux dont elle n’attend rien contre l’avantage évident d’un fils qu’elle adore. A tous les argumens très fondés de son frère, elle répond simplement que ce qu’on lui demande étant injuste en soi, par cela seul elle ne croit pas pouvoir le faire. Elle nous donne aussi plus d’un renseignement précieux. Elle s’était refusée longtemps à laisser mettre le comte de Dunois aux jésuites. Les jésuites eux-mêmes, et cela leur fait honneur, avaient résisté, ne voyant pas de vraie vocation. On avait entouré et séduit cet enfant à moitié imbécile. Tout cela s’était passé du temps et sous l’autorité de M. de Longueville, et c’est Mme de Longueville qui avait défendu son fils contre son mari, comme aujourd’hui elle le défend contre son frère et les suggestions intéressées de domestiques ambitieux. Elle est encore plus réservée avec Condé qu’avec Mme de Sablé dans les allusions qu’elle fait aux bruits semés par Mme de Nemours, mais on sent en elle un trouble auquel elle n’échappe qu’en se réfugiant dans l’inflexible résolution de ne pas sacrifier le fils de