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principal tout à fait inadmissible, et les exagérations de l’ensemble ont fait passer inaperçue la pensée juste et féconde à laquelle on aurait dû s’arrêter. C’est à ce projet qu’il faut revenir : l’exécution en coûterait moins que l’achèvement des travaux commencés; l’entretien en serait assuré par l’action des crues de l’Aure et des marées, et l’intérêt maritime, comme on le verra plus loin, ne serait pas le seul auquel il satisfit. Cette transformation de l’atterrage de Port-en-Bessin conduirait à demander à quelles conditions la navigation maritime pourrait être mise, sous les murs de Baveux, en contact avec le chemin de fer de Cherbourg; mais, quelque tonnage que garantissent au nouveau port la richesse agricole du pays et le voisinage d’un gisement inépuisable de la meilleure argile plastique, l’examen de cette question serait aujourd’hui prématuré.

En voilà beaucoup sur Port-en-Bessin. Odon, le frère du Conquérant, y fit construire quarante vaisseaux pour l’expédition de 1066. Ce prélat et ses plus illustres successeurs sur le siège de Bayeux se sont trop occupés de ce port pour qu’il fût permis d’en parler légèrement. Les détails qui précèdent ne seront du reste pas perdus, si l’on en conclut que sur des côtes aussi rudes et aussi battues des vents que celles du Bessin, il faut, au lieu de braver une mer furieuse en lui jetant des ouvrages avancés à détruire, l’attirer pour la vaincre et l’asservir en arrière du rivage.


III. LES VAYS. — L’AURE. — LA VIRE. — LES MARAIS DU COTENTIN. — CARENTAN.

Les falaises du Bessin finissent, à l’ouest, aux roches de Grand-Camp. Au-delà, les Vays s’enfoncent entre le Bessin et le Cotentin, et la côte prend jusqu’à la pointe de Barfleur la direction du nord. Les Vays sont des grèves sablonneuses sur lesquelles le flot remonte à 9 kilomètres de la laisse de basse-mer : ils reçoivent au sud-est l’Aure et la Vire, au sud-ouest la Taute et la Douve réunies; sur l’Aure s’ouvre le port d’Isigny, sur la Taute celui de Carentan. Mais avant de considérer l’état maritime de cet atterrage, arrêtons-nous aux circonstances territoriales qui lui donnent un caractère particulier.

Les rivières qui s’épanchent dans les Vays coulent au travers d’immenses prairies marécageuses qui tiennent la place d’anciennes baies, ou plutôt, comme semblerait l’indiquer le peu de largeur de leurs goulets, d’anciens lacs. Les eaux paisibles de ces bassins retenaient toutes les matières versées dans leur sein par les ruisseaux de l’intérieur ou par les marées, et les nappes de verdure qui se sont plus tard étendues sur ces accumulations de débris ont conservé les contours capricieux et l’horizontalité des nappes d’eau auxquelles elles se sont substituées. La prairie a ses îles, ses caps, ses abris; elle