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maritime contraste partout ailleurs avec la richesse du territoire qu’il doit desservir. Quoique cette condition laisse beaucoup à désirer et à faire, elle vaut mieux que celle d’une contrée stérile d’un plus commode accès; les défauts des atterrages sont plus aisés à corriger que ceux du sol, et les succès obtenus sont ici la garantie de ceux auxquels nous devons prétendre. Lorsque le cardinal de Richelieu eut fait faire dans ces parages la recherche infructueuse d’un emplacement propre à l’établissement d’un grand port de guerre, la conclusion d’une conférence qu’eurent avec lui le 7 février 1640 les habiles explorateurs qu’il avait chargés de cette mission fut que « si l’on voulait tenir de grandes forces navales en toute ladite côte, il faudrait accommoder les vaisseaux pour les ports, puisque les ports ne se pouvaient accommoder pour de grands vaisseaux[1]. » En nous inspirant de la constance et de la sagesse du grand cardinal, nous avons déjà fait plus qu’il n’osait souhaiter. Notre temps dispose de ressources qui manquaient au sien : non-seulement aujourd’hui les ports s’accommodent aux navires, la preuve en est à Cherbourg, mais les navires s’accommodent aux ports dans des conditions que n’entrevoyait pas le XVIIe siècle; la preuve en est à Paris. Ces trois-mâts qui viennent de Londres et de Bordeaux s’amarrer aux quais du Louvre sont les précurseurs des relations étroites qu’une révolution dans le matériel nautique va créer entre des ports jusqu’à présent étrangers les uns aux autres, et les rivages les plus déshérités par la nature seront ceux auxquels profitera le plus le progrès de l’art. Des bâtimens de 700 tonneaux, comme le Laromiguière, aborderont à Caen avec plus de facilité que ne le faisaient, sous les yeux de Vauban, des bâtimens de 70; mais il faut que les travaux hydrauliques viennent en aide aux progrès des constructions navales et à l’action des chemins de fer. Par un heureux concours de circonstances, à l’embouchure de l’Orne, sur la côte du Bessin, dans les Vays, l’amélioration des atterrages est aussi le moyen d’assainir la contrée et d’accroître la production agricole. Encore quelques efforts, et la côte inhospitalière dont Caen est la métropole rendra en personnel maritime à notre établissement militaire de la Manche ce qu’elle en reçoit en sécurité. N’oublions pas d’ailleurs que nous avons ici la meilleure des conditions de toute prospérité navale : je veux dire l’intelligence, la vigueur et la persévérance de la population, et quand ces qualités existent, on ne saurait leur ouvrir trop largement la carrière.


J.-J. BAUDE.

  1. Bibliothèque impériale, manuscrit petit in-folio. S. E. 87.