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croire que cette objection est sincère, mais il faut en vérité se faire violence pour consentir à la discuter. Personne plus que moi n’admire tout ce qu’il y a d’émouvant et d’élevé dans le talent de Raffet, J’estime la Revue aux Champs-Elysées comme une des conceptions les plus heureuses de notre âge; néanmoins il ne faut pas réfléchir longtemps pour comprendre que le parti adopté par cet artiste ingénieux, excellent pour le cadre qu’il a choisi, mènerait au ridicule dans un cadre plus étendu. Et pourtant j’ai entendu soutenir, avec une vivacité digne d’une meilleure cause, que M. Ingres eût agi sagement en suivant l’exemple de Raffet. Porter la discussion sur un tel terrain est une aberration que je renonce à caractériser. Exposer l’objection, c’est la réduire à sa juste valeur. Les régions idéales où M. Ingres a voulu transporter l’âme du spectateur ne sauraient s’accommoder des élémens réels que Raffet a très bien fait de respecter; je n’ai pas besoin de le démontrer.

Pour la classe d’esprits dont je parle, l’Apothéose de Napoléon, telle que l’a conçue M. Ingres, est tout simplement lettre close. Comme ils s’obstinent à demander ce que l’artiste n’a pas voulu faire, leur désappointement les mène à l’injustice, j’allais dire au blasphème. Dessiller leurs yeux n’est pas la tâche de la critique; il n’y a qu’une seule chose à leur répondre, c’est qu’il leur manque une faculté : ils n’aperçoivent pas l’idéal dans toute sa pureté; ils sont si loin du but, qu’il serait inutile de leur tendre la main; peut-être l’étude réussira-t-elle à leur montrer toute l’étrangeté de leurs affirmations. Quant à la critique, elle s’épuiserait en efforts impuissans si elle tentait de les éclairer. Il y a sans doute dans la Revue aux Champs-Elysées une part d’idéal que personne ne peut méconnaître; mais proposer cette composition comme un type dont la peinture ne doit pas s’écarter, c’est prendre en dérision le but suprême de l’art, et je suis presque confus d’avoir énoncé un tel paradoxe. Le bon sens et le goût, qui n’est que le bon sens fortifié par la réflexion, se réunissent pour proclamer la nullité absolue d’une telle objection. Ce n’est pas dans le domaine de la poésie une hérésie, une impiété; c’est la négation même de toute poésie et du terme qu’elle doit se proposer. Il est temps maintenant d’aborder l’œuvre de M. Ingres, et d’en discuter tous les élémens.

Voici comment l’artiste a conçu l’Apothéose de Napoléon. L’empereur, debout dans un char attelé de quatre chevaux, tenant d’une main le sceptre et de l’autre le glaive, se dirige vers le temple de la Gloire. La Renommée le couronne, et la Victoire guide le quadrige. La figure entière de Napoléon est d’une grande beauté. Le visage est empreint d’une majesté imposante. Le torse, modelé avec fermeté, respire une immortelle jeunesse. Peu importe que le quadrige