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et puissante. M. Delacroix a franchement accepté la donnée qu’il avait à traiter, et n’a pas reculé devant la résurrection complète de la mythologie. C’est de sa part une preuve éclatante de sagacité. Il eût été difficile en effet de représenter le triomphe de la Paix sans recourir aux dieux du paganisme, et je lui sais gré de les avoir appelés comme l’expression la plus claire de sa pensée. Il y a cela d’excellent dans les divinités païennes, qu’elles ont un sens nettement défini et ne laissent aucune place à l’hésitation dans l’esprit du spectateur. C’est une langue toute trouvée, dont tous les termes sont connus depuis longtemps, que tous les esprits cultivés comprennent sans effort, et qui se prête naturellement à la représentation d’une idée. La manière dont M. Delacroix a conçu le Triomphe de la Paix est pleine à la fois de grandeur et de simplicité. Tous les épisodes de cette vaste composition sont reliés entre eux par une intime parenté. La Terre éplorée lève les yeux au ciel pour en obtenir la fin de ses maux. Elle est entourée de ruines. Près d’elle, un soldat éteint sous ses pieds une torche. Des amis, des parens, se retrouvent et s’embrassent. On relève en pleurant les victimes de la guerre. La Paix, portée sur des nuages, ramène l’Abondance et le cortège des Muses. Cérès repousse Mars et les Furies. La Discorde s’enfuit et se replonge dans l’abîme, tandis que Jupiter, du haut de son trône, menace encore les divinités malfaisantes.

M. Delacroix a trouvé dans ce programme l’occasion de montrer son talent sous des aspects très variés. La Terre, qui occupe la partie inférieure de la composition, attire d’abord l’attention par la majesté de sa douleur. Son regard est une prière éloquente. Les ruines amoncelées autour d’elle commentent et complètent ce qu’exprime son regard. Toute cette zone de la composition est lugubre et désolée. La Paix est traitée dans un style gracieux, qui désarmera, j’en suis sûr, les juges les plus difficiles. Son visage respire la sérénité. Le mouvement de la Cérès est énergique et vrai; je regrette seulement qu’il n’offre pas une réunion de lignes plus heureuse. En peinture, la vérité ne suffit pas, il faut y joindre la beauté, et M. Delacroix parait avoir oublié cette condition impérieuse en plaçant les bras de Cérès sur deux lignes parallèles. La Discorde est plus habilement conçue; son visage exprime l’épouvante et la confusion. Les Muses, que le spectateur aperçoit sur un plan plus éloigné, sont d’une couleur charmante et d’une adorable jeunesse. Il est impossible de caractériser plus clairement les bienfaits de la paix. Elles arrivent, souriantes et légères, pour rendre aux hommes le calme et la joie. Je n’ai rien à dire de Jupiter, qui occupe le sommet de la toile. Son attitude menaçante achève d’expliquer le sens de la composition. Que pouvait-on souhaiter de plus ? Apollon vainqueur du serpent Python présente