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sans doute un intérêt plus dramatique; mais le Triomphe de la Paix n’est pas un sujet d’étude moins attachant. Il y a dans le plafond de l’Hôtel-de-Ville un mélange de grâce et de grandeur qui étonne le regard et captive l’attention. Tous les yeux sont ravis par l’harmonie des couleurs et la vérité des mouvemens. Il n’y a pas un spectateur qui, après avoir contemplé pendant une heure cette œuvre ingénieuse et puissante, ne se promette de la revoir. Par la variété des groupes, par le choix des tons, l’auteur a su donner à l’expression d’une idée toute la vivacité d’une action réelle. Tous ceux qui ont suivi depuis trente-deux ans les travaux de M. Delacroix reconnaîtront dans son plafond de l’Hôtel-de-Ville une jeunesse d’imagination et en même temps une finesse de combinaison qui se trouvent bien rarement réunies dans le même esprit. Il est permis sans doute de désirer plus de précision, plus de pureté dans la forme; mais il y a dans cette dernière œuvre tant d’éclat et de sagacité, que nous aurions mauvaise grâce à chicaner l’auteur sur l’indécision ou l’incertitude de quelques lignes. Les dons qu’il a prodigués dans le Triomphe de la Paix sont trop précieux pour qu’on n’oublie pas ce qui lui manque.

Les caissons qui encadrent ce plafond, sans nous offrir des sujets qui se déduisent directement du sujet principal, retiennent cependant la pensée dans la même région. Vénus, Bacchus, Mars enchaîné. Minerve, la poésie, Mercure, Cérès, et Neptune calmant les flots, peuvent être acceptés comme l’expression d’une pensée commune, comme l’expression du bonheur. Envisagés sous cet aspect, ces huit caissons n’ont rien d’inattendu. Je veux bien croire que la fantaisie les a dictés plutôt que la réflexion; cependant la réflexion ne les répudie pas.

La vie d’Hercule, destructeur des monstres et vengeur des opprimés, a fourni à M. Delacroix onze motifs dont il a tiré un excellent parti. A proprement parler, c’est une histoire abrégée de la civilisation prise au point de vue païen. Hercule est recueilli par Junon et par Minerve après sa naissance. Minerve le tient dans ses bras et le présente à Junon, qui se dispose à l’allaiter. Après avoir posé deux colonnes aux bornes du monde, il se délasse de ses travaux. Il ramène Alceste des enfers et la rend à Admète. Il tue le Centaure. Il enchaîne Nérée, dieu de la mer, pour le forcer à lui dévoiler l’avenir. Il s’empare du baudrier d’Hippolyte, reine des Amazones. Il étouffe Antée, que la Terre, mère de ce Titan, essaie en vain de défendre. Il délivre Hésione, fille de Laomédon, exposée pour être dévorée vivante par un monstre marin. Il écorche de ses mains le lion de Némée pour se revêtir de sa peau. Il hésite entre la Vertu et la Volupté. Enfin il rapporte vivant sur ses épaules le sanglier d’Érymanthe, qu’il avait pris