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Vous ne me le proposez pas. Vous voyez donc bien que c’est dire le oui et le non, et qu’il ne peut estre à l’abri de sa sœur sans un éclat effroyable qu’en l’esloignant par quelque voyage, pour six mois, si vous trouvez qu’un an soit trop long. J’ai des gens qui seront bons pour le maintenir dans un voyage parce qu’il ne verra qu’eux, qui ne sont pas suffisans à le maintenir quand il sera en proie à sa sœur, et il y sera quand il sera à deux lieues et même à dix de Paris.

« Pour la proposition de donner son bien au comte de Saint-Paul, permettez-moi de vous dire qu’elle sera bonne quand il aura vingt-cinq ans, car auparavant elle ne tiendroit pas, et il est certain qu’il feroit toutes les protestations du monde, comme il en méditoit, s’il eût fait ses vœux. On lui a tant dit que nous voulons tous élever son frère à ses dépens, que ce seroit lui en donner une preuve que de le dépouiller en un instant devant qu’il ait l’âge, devant qu’on ait vu clairement s’il ne changera pas, c’est-à-dire s’il ne peut devenir un homme ordinaire. Enfin, pour cela, je n’y consentirai de ma vie. Le comte de Saint-Paul est né cadet; tout ne périra pas quand il demeurera dans cette condition. Devant que son frère fût jésuite, il vivait, et nous vivions tous, sans prétendre à cette aînesse précipitée. Si son frère la lui veut donner lorsqu’il sera en âge de le faire librement, voilà qui est fort bien. On peut conduire l’esprit de mon fils à cela si on vit bien et doucement avec lui; mais si on lui montre clairement qu’on ne songe qu’à son frère et point à lui, mettons-nous en sa place, on ne lui persuadera rien. Au nom de Dieu, allons un peu bride en main ! Donnons-lui le temps ou de changer ou de nous faire voir qu’il ne peut changer. S’il change, tant mieux pour nous; s’il ne change point, on sera en estat de lui proposer tout ce qu’on jugera pour le mieux en ce temps-là. Vous dites qu’on ne le pourra plus, et je réponds à cela que, quand mesme on lui feroit faire tous ces pas-là présentement, il les détruiroit alors, car je vous assure qu’il ne les fera que par force.... Voilà mes propositions; voyez si elles sont déraisonnables. Je serois fort faschée que vous les trouvassiez telles, car, en vérité, j’ai pour vous tous les sentimens que je dois, c’est-à-dire toute sorte de déférence et de tendresse; mais trouvez bon que je vous dise que je connois fort bien mon fils, et mieux que personne. »


Combien n’est-il pas à regretter que Mme de Longueville, en envoyant à Mme de Sablé ces deux lettres, ne lui ait pas aussi envoyé les réponses de Condé, bien entendu en lui recommandant de les brûler aussi! Grâce à Mme de Sablé et à Valant, on posséderait et on pourrait comparer les lettres de la sœur et du frère. Nous aurions là une sorte de dialogue à la façon de Corneille, où les deux interlocuteurs seraient dignes l’un de l’autre, car Condé avait infiniment d’esprit, et il écrivait comme il parlait, avec la dernière simplicité, mais en prince.

Ces tristes débats se terminèrent par des concessions réciproques : le comte de Dunois ne fut pas contraint de rester en religion, mais on ne lui permit pas de paraître dans le monde. Sa mère le prit avec elle, et lui fit continuer ses études sans que la carrière ecclésiastique