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lui fût imposée. Elle ne souffrit pas qu’on lui fît violence, mais elle ne l’émancipa pas non plus, et se confia au temps et à ses soins. « Mon fils étudie assez bien, écrit-elle à Mme de Sablé; son précepteur en est content. Il dit que cette masse informe se développera. » — « Mon fils aîné a quelque esprit, mais dans quoi est-il enchâssé ? Cela ne se peut comprendre, il le faut voir; et ce qu’il y a de pis, quels sentimens a-t-il ? » Lorsqu’elle était à Paris, elle avait grand soin d’introduire ses enfans chez Mme de Sablé, et de les remettre entre les mains de cette aimable et sage personne. Elle lui recommande particulièrement son fils aîné; elle la supplie de l’entretenir le plus souvent qu’elle pourra, de l’assister de ses conseils, et par cet art de l’insinuation qu’elle possédait si bien, de faire entrer quelque lumière dans cette intelligence disgraciée. Tous les efforts furent inutiles. Cette masse informe ne se développa point, et le peu d’esprit qui pouvait y être ne se trahit que par des caprices extravagans. Un jour, le comte de Dunois s’échappa de la maison de sa mère, s’enfuit à Rome, et y reçut en 1669 l’ordre de prêtrise sous le nom d’abbé d’Orléans, ce qui permit au comte de Saint-Paul de succéder régulièrement à son frère, et de prendre son rang et son titre.

Telle fut la destinée du fils aîné de Mme de Longueville. Celle de son second fils fut plus brillante, sans être plus heureuse, et la pauvre mère, que nous venons de voir tant souffrir par l’un, ne souffrit guère moins par l’autre.

Comme elle le dit elle-même à Mme de Sablé, le comte de Saint-Paul, gâté par tout le monde, excepté par sa mère, avait montré d’assez bonne heure des prétentions, de l’amour-propre et de l’ambition, qu’il déguisait sous des dehors assez chevaleresques. Pendant qu’il faisait ce qu’on appelait alors son académie, il voyait déjà la société, il aimait les plaisirs, voulait être présenté à la cour, mener enfin une vie un peu indépendante. Il négligeait beaucoup sa mère, et ne prenait pas souvent la peine d’aller lui faire visite lorsqu’elle était absente de Paris. Mme de Longueville souffrait de cet oubli; elle ne s’en plaignait point au comte de Saint-Paul, mais elle s’en ouvrait à Mme de Sablé. Elle s’inquiétait des compagnies que fréquentait ce fils sur lequel sa tendresse ne l’aveuglait pas; elle savait qu’il avait rencontré chez Mme de Sablé Mme de La Fayette et La Rochefoucauld. Mme de La Fayette, rendant compte à Mme de Sablé d’une visite que venait de lui faire le comte de Saint-Paul, se montre à la fois frappée de son esprit et pleine de craintes qu’il ne soupçonne son intimité avec La Rochefoucauld. Combien Mme de Longueville ne devait-elle pas redouter davantage que l’éclat de ses anciennes relations avec ce même La Rochefoucauld n’allât jusqu’à