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doute notre aptitude au gouvernement représentatif ? On différait seulement sur le plus ou le moins. Les anciens émigrés eux-mêmes avaient fait à peu près leur deuil du pouvoir absolu, et se bornaient à dire qu’on donnait aux Français un peu trop de liberté; d’autres, naguère moins exigeans, soutenaient qu’on leur en donnait trop peu; l’idée qu’ils pussent s’en passer tout à fait ne venait à personne. Une seule question s’agitait, celle de savoir si, nous aussi, nous aurions notre 1688, si l’affermissement du régime constitutionnel sortirait directement de la restauration, ou s’il faudrait passer par les hasards d’une révolution orangiste. Les uns cherchaient à conjurer la crise, d’autres à la précipiter; mais quels que fussent à ce sujet les craintes, les désirs, les secrètes pensées, tous étaient convaincus que, sous une forme ou sous une autre, nous marchions au triomphe d’un établissement pour le moins aussi libre que celui de nos voisins.

C’est au milieu de ce courant d’idées que parurent, en 1826, les deux premiers volumes de l’Histoire de la Révolution d’Angleterre. Les deux volumes suivans paraissent aujourd’hui. Jamais peut-être une œuvre interrompue ne fut reprise et continuée à si long intervalle, en des temps plus opposés, sous des influences plus contraires, devant un public moins semblable à lui-même. L’unité de l’ouvrage en sera-t-elle rompue ? Trouvera-t-on dans la partie nouvelle une trace, un reflet involontaire de changemens si nombreux et si profonds ? Non; pas la moindre disparate, pas une dissonance, pas un trait qui sépare les nouveaux volumes des anciens; le talent a grandi, voilà tout; du reste, rien n’est changé. Le tout semble fait d’un même jet, sous la même impression, dans les mêmes circonstances. Ce persévérant accord avec soi-même, si difficile à tant de gens, semble ici naturel et sans effort. Ce qui fait que M. Guizot a pu réimprimer naguère, sans en changer un seul mot, la première partie de son histoire; ce qui fait qu’il la continue maintenant du même esprit, au même point de vue que si nous étions encore au temps qui la vit naître, c’est qu’alors comme aujourd’hui il planait d’assez haut sur les choses pour en saisir les grands aspects, le côté durable et permanent, dominant, au lieu de les subir, les influences éphémères, et ne cherchant dans l’histoire que l’éternelle vérité.

Le succès de ses deux premiers volumes fut, dès l’abord, éclatant et incontesté, sans que la politique, l’esprit de circonstance eût fait grands frais pour le grossir et fût en droit d’en réclamer sa part. Le secret des succès politiques était alors ce qu’il sera toujours, un complet abandon de toute indépendance, de toute impartialité; il fallait accommoder l’histoire aux besoins d’une cause, en faire une arme, un instrument, un système, puis tirer de ce système d’audacieuses prophéties au nom de prétendues lois infaillibles et nécessaires gouvernant fatalement les choses et les hommes. C’était là ce