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l’impuissance des partis extrêmes à rien fonder en ce monde, même quand, par aventure, un grand homme leur fait la grâce de se charger de leurs affaires.

Nous ne voulons pas dire qu’un tel sujet n’ait aussi ses beautés : il en a d’un autre ordre ; mais il faut les chercher dans un sol moins facile, moins riche à la surface, et qui réserve ses trésors à ceux qui sont de force à le fouiller plus avant. M. Guizot lui-même, il y a trente ans, l’aurait-il sondé jusqu’au fond ? Aurait-il résolu ce problème de répandre dans son récit autant de vie, autant d’éclat, d’exciter même, s’il est possible, un intérêt plus vif, d’être plus attachant avec des matériaux plus arides et des moyens d’effet moins sûrs, moins variés ? Nous nous permettons d’en douter. C’est là pourtant ce qu’il fait aujourd’hui. D’où le secret lui en est-il venu ? Que lui manquait-il autrefois ? Ce n’était pas la maturité du talent, ce n’était rien de ce qui s’acquiert par étude et par réflexion : c’était un grand enseignement, le premier, le meilleur de tous, dès qu’il s’agit d’histoire, la vie pratique des affaires, et, mieux encore, l’exercice du pouvoir. Nous savons bien qu’avant 1830, M. Guizot, en fait de politique, n’en était pas à ses débuts. Avant d’avoir écrit son Histoire de Charles Ier, il savait, il avait appris, autrement que par ouï-dire, comment les hommes se gouvernent, mais il n’avait pas lui-même gouverné. C’est encore autre chose, d’avoir vu par les yeux d" autrui ou de regarder par les siens. Il n’avait pas habité, lui-même et longtemps, ces hauteurs d’où tout part et où tout aboutit, d’où la vue plonge si loin et sur tant de mystères, où les esprits les moins ouverts apprennent eux-mêmes bien des choses, et où les clairvoyans en ignorent si peu.

C’est évidemment là, là seulement, qu’il pouvait découvrir l’art de lire si couramment dans le jeu des partis, d’en suivre, d’en distinguer d’une façon si nette les nuances les plus confuses, de les rendre vivans à force de les bien voir. Sans son passage aux affaires, que nous aurait-il dit de ces négociations, de tous ces démêlés diplomatiques qui tiennent tant de place dans le gouvernement de Cromwell et même sous le long-parlement ? Le demi-jour pour ce genre de matières ne vaut guère mieux que la complète obscurité. Ce n’est rien de savoir, comme on peut l’apprendre partout, que ces républicains d’Angleterre et leurs frères de Hollande, frères en religion ainsi qu’en république, se sont un jour mortellement brouillés; ce qui donne à ce conflit son véritable sens, ce qui le rend instructif, c’est d’en connaître à fond l’origine, c’est de lire les instructions secrètes des envoyés du parlement, de voir jusqu’à quel point ces pouvoirs nouveau-nés sont prompts à s’enivrer de leurs premiers succès. Après avoir mis bas un trône, on ne croit plus à l’impossible. La Hollande est une rivale, il faut s’en délivrer, l’absorber, l’annexer à