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ANTONINA


RECIT DES BORDS DE LA PLATA.





Quand on lit dans les chroniqueurs espagnols l’histoire de la découverte du Nouveau-Monde, on est tout d’abord ébloui par les triomphes de ces conquérans pleins d’ardeur et d’enthousiasme qui marchent droit devant eux avec un irrésistible élan; puis, à la réflexion, on se sent pris de pitié pour les races indigènes, si subitement troublées dans leurs magnifiques solitudes et partout vaincues. Qu’étaient-ils avant l’arrivée de Colomb, ces peuples dont on ne saura jamais l’histoire ? Qu’étaient-ils devenus, ceux, plus anciens encore, dont on a retrouvé les traces oubliées, et qui avaient peut-être brillé d’un grand éclat avant l’ère chrétienne ? Ce monde, nouveau pour nous, était donc si vieux au contraire, qu’il devait tomber en poussière au premier choc. Les Européens semblent avoir été le fléau dont la Providence a voulu se servir pour faire expier à ces nations abâtardies les crimes d’un passé inconnu. Des tribus, des nations entières, ont disparu si vite, que la science en est à regretter de n’avoir pas songé plus tôt à étudier ces types effacés de la famille humaine. Notre civilisation a beau faire, elle ne peut s’assimiler complètement les descendans de ces indigènes ignorans et rusés que la conquête épouvanta jadis par sa rapacité et par ses violences. Et cependant, parmi les hordes les plus barbares, au milieu de celles qui fuient le plus obstinément tout contact avec les Européens, on rencontre des types d’hommes héroïques à leur façon, et dans lesquels on voit briller les principaux traits de la grandeur antique : le courage, la résignation et le mépris de la mort. Comme le gladiateur des arènes romaines, comme le barbare germain ou gaulois, ces guerriers sauvages savent mourir avec dignité. Condamnés à périr dans une lutte inégale, ils disparaissent