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Tandis que ces trois personnages, occupés des préparatifs du départ, s’entretenaient souvent de la patrie qu’ils allaient revoir, tandis que don José et la jeune fille sauvée par lui s’abandonnaient aux charmes d’un amour naissant, les Indiens languissaient en prison. On ne les avait point jetés dans un cachot, on ne les avait pas chargés de chaînes : il leur était permis de se promener dans un large préau où l’air et le soleil pénétraient librement ; mais ils ne voyaient plus la pampa dérouler devant eux ses verts horizons, ils ne foulaient plus les hautes herbes de la steppe, et tout autour d’eux se dressaient de grands murs infranchissables. Tout le jour ils restaient blottis en un coin du préau, mornes, immobiles, enveloppés dans leurs

longues couvertures. De temps en temps, le galop d’un cheval passant dans le voisinage de la prison faisait battre leur cœur. Pareils aux aigles enfermés dans des cages, qui se penchent, allongent le cou, et regardent à travers le treillis de fer voltiger gaiement l’hirondelle, ils contemplaient dans une muette douleur les nuages errans que la brise chassait sur leurs têtes. L’ennui rongeait ces hommes sauvages, inhabiles à tout travail, comme la rouille dévore le fer enfoui sous le sol. Ils ne pensaient à rien, ils souffraient et regrettaient, sans espoir de la jamais recouvrer, la liberté, sans laquelle le sauvage ne peut vivre. Enfin ces hommes, tout féroces qu’ils étaient, appartenaient à la grande famille humaine : ils avaient, en quelque coin ignoré de la steppe, des femmes, des enfans qu’ils ne reverraient jamais peut-être, et ces liens brisés leur causaient de cruelles souffrances. Trop fiers pour les exprimer à haute voix, ils dissimulaient ces douleurs sous les dehors de l’indifférence et de l’apathie. Le cacique avait appris dans sa jeunesse quelques mots d’espagnol, mais aux paroles railleuses ou bienveillantes des gardiens de la prison il ne répondait jamais.

Depuis trois mois, les Indiens végétaient dans cette prison, et on les y aurait oubliés longtemps encore, si un événement qui devait avoir sur la puissance de l’Espagne une influence considérable ne les eût remis en scène. L’Angleterre venait de déclarer la guerre à l’Espagne. Une petite escadre anglaise, aux ordres du commodore Anson, se dirigea vers les mers du Sud, où elle devait se réunir à une flotte plus nombreuse, commandée par l’amiral Vernon. Partis d’Europe trop tard, les vaisseaux du commodore Anson atteignirent le cap Horn dans une saison défavorable. Un coup de vent terrible dispersa l’escadre, dont une moitié ne put doubler le cap. Quand le commodore alla relâcher à l’île Juan Fernandez, il n’avait plus que deux vaisseaux et une pinque chargée de provisions. La flotte espagnole envoyée pour combattre les voiles anglaises avait éprouvé des désastres plus graves encore. Un de ses vaisseaux coula en pleine