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mer, un second s’échoua sur les côtes du Brésil, un troisième toucha sur un banc en sortant de la Plata et fut contraint d’y rentrer avec des avaries telles qu’il fallut l’abandonner. Il ne restait plus à Montevideo qu’un seul bâtiment de haut bord, retenu à l’ancre depuis trois années et qu’il s’agissait de mettre en état de prendre la mer. Lorsque le commandant de ces forces navales, ainsi réduites par les tempêtes et les accidens de tous genres, revint par terre du Chili à Buenos-Ayres, il s’occupa de réparer et d’équiper ce dernier vaisseau. On mit en réquisition les ouvriers des ports de Buenos-Ayres et de Montevideo, et quand le travail fut à peu près achevé, le commandant alla trouver le gouverneur.

— Seigneur, lui dit-il, pour armer l’Asia (c’était le nom du vaisseau), je n’ai pas plus de cent matelots, et il m’en faut cinq cents.

— On trouve ici plus de cavaliers que de marins, répondit le gouverneur avec embarras.

— Et cependant le service de sa majesté exige que l’Asia soit équipée. Il me faut du monde... à tout prix, seigneur gouverneur.

— En donnant à propos un coup de filet sur la plage, reprit celui-ci, on peut ramasser une centaine de pêcheurs, de mariniers, quitte à englober dans le nombre quelques portefaix métis.

— Bien; nous voilà à deux cents. N’avez-vous rien de plus à m’offrir ?

— Attendez, seigneur commandant; s’il vous convient de prendre à bord des Anglais prisonniers, on peut en trouver une soixantaine.

— Hum! fit le commandant; cela n’est peut-être pas prudent, mais la nécessité m’oblige d’accepter. Après...

— J’ai ici une centaine de contrebandiers portugais dont j’aimerais à me débarrasser...

— Je m’en charge... Voyons, tâchez de me compléter au moins les quatre cents...

— Ce sont des marins qu’il vous faut, seigneur commandant, des hommes habitués à la mer; à quoi vous serviraient de pauvres diables qui n’ont jamais vu ni voiles ni vergues ?

— A haler sur les cordes, reprit le commandant; encore une douzaine de bras robustes, et je vous tiens quitte du reste.

— Eh bien ! prenez les onze Puelches que nous gardons en prison depuis trois mois, — je ne sais trop pourquoi, — et si vous venez à bout d’en faire quelque chose, je consens à être pendu à la grand’ vergue de votre vaisseau.

Le gouverneur prononça ces dernières paroles à demi-voix, et le commandant répondit en redressant fièrement la tête : — J’en ferai des marins, monsieur. Quand on a l’honneur de commander un vaisseau de sa majesté, on sait se faire obéir. Ce ne serait pas pour