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Brocelyande, près de la fontaine de Merlin. J’y serai. » (En achevant cette lecture, mademoiselle de Kerdic sourit. François fait entendre un ricanement singulier. Le comte les regarde. Mademoiselle de Kerdic reprend :) Mais c’était une mystification manifeste ! (François se retire.)

Le Comte.

Je n’en doutai pas plus que vous, mademoiselle, et cependant… telle fut la curieuse faiblesse de mon esprit, que j’attendis, et que me voici.

Mademoiselle de Kerdic.

Et êtes-vous venu seul à ce rendez-vous redoutable ?

Le Comte.

C’était mon dessein ; mais un de mes amis, seul confident de ce mystère, le vicomte Hector de Mauléon, mauvaise tête et brave cœur, a voulu m’accompagner jusqu’à la lisière du bois. Il a d’ailleurs à son service un garçon né dans ce pays, qui devait nous tenir lieu de guide et d’interprète, et qui n’a fait que nous impatienter par sa poltronnerie superstitieuse. Je les ai laissés dans ma voiture ; mais, déterminé comme je l’étais à ne sortir en aucun cas de cette forêt, j’ai fait promettre au vicomte de quitter la place après une heure d’attente. Je suppose donc qu’il est déjà loin… Et maintenant, mademoiselle, me pardonnerez-vous l’importunité ridicule dont je vous ai rendue victime ?

Mademoiselle de Kerdic.

Ainsi j’avais deviné !… vous m’avez prise pour une fée… mais après tout, pourquoi pas ? L’histoire nous dit que les fées se plaisaient à revêtir, dans leurs rencontres amoureuses, un âge et un costume peu avantageux… vous devez me remercier de vous avoir du moins épargné les haillons…

Le Comte.

Vous allez rire, mademoiselle ;… mais en vérité, depuis que je suis chez vous, votre personne, votre langage, si parfaitement inattendus au fond des bois, certains détails singuliers de votre intérieur, et enfin je ne sais quel prestige inexplicable dont je me sens comme enveloppé en votre présence, tout cela m’a fait me demander vingt fois si je n’étais pas dans le domaine de la légende — ou du moins de la vision.

Mademoiselle de Kerdic, avec un sourire équivoque.

Vraiment !

(François entre.)



Scène V.

Les mêmes, FRANÇOIS.
François.

On vient en toute hâte chercher mademoiselle de la part du pau-