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tête… Ce prétendu rajeunissement n’est qu’une illusion de mon demi-sommeil… elle-même me le disait… C’est simplement une bonne vieille qui, me voyant malheureux, a eu pitié de moi, et qui essaie de me guérir en caressant ma folie. (Entre François : Il se tient droit ; il a l’œil vif, le teint frais, les cheveux grisonnant à peine.)

François, d’une voix mâle.

Monsieur, votre serviteur.

Le Comte.

Qu’est-ce que c’est ?… Qui es-tu ?

François.

Je viens offrir mes remerciemens à monsieur le comte. Je suis le vieux François. J’étais captif sous le même charme que ma maîtresse, et j’en ai été délivré en même temps qu’elle. J’ai encore cinquante ans, monsieur le comte ; mais quand vous aurez épousé mademoiselle, j’espère bien n’en avoir plus que trente.

Le Comte.

Ah çà !… où diable suis-je ici ? (Il s’approche.) C’est bien le même visage ;… mais ceci dépasse ma crédulité… Voyons, mon ami, tu te moques de moi ; mais je te le pardonne, et je fais plus, je t’enrichis, si tu m’apprends sans une minute de délai le mot d’une énigme — où mon esprit se perd, j’en conviens.

François.

Monsieur, vous êtes trop initié aux mœurs de notre race pour que j’aie rien à vous apprendre. Je suis un pauvre diable de génie subalterne, enchanté jadis par le pouvoir de Merlin aux côtés de la noble fée, ma maîtresse. Nous attendions dans cette forêt, depuis un siècle entier, la venue d’un jeune gentilhomme assez délicat pour préférer les solides qualités de l’âme aux grâces d’une beauté périssable : voilà pourquoi je vous ai accueilli tantôt avec une joie mal dissimulée, pressentant en vous un libérateur ; voilà pourquoi je viens vous offrir l’hommage de ma reconnaissance, ayant compris tout à l’heure, au changement agréable qui s’opérait en ma personne, que grâce à vous, monsieur, les temps étaient accomplis.

Le Comte.

Tu n’as rien de plus à me dire ?

François.

Rien.

Le Comte.

Eh bien ! que Merlin te vienne en aide ! car, de par le ciel, ma patience est à bout !… (Il veut le saisir au collet.)

François, lui arrêtant le bras d’une puissante étreinte.

Silence !… Écoutez !…

(La porte latérale s’ouvre ; une lumière éclatante remplit le salon. — Le comte se retourne.)