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Rus-, d’un confident intime du tsar, comptant sur l’appui des partisans de l’alliance russe, et dès son arrivée il laissait déjà échapper des termes dédaigneux sur les hommes qui dirigeaient la politique autrichienne. Le comte Orlof était accueilli avec empressement par les partisans du tsar. Il ne tardait pas cependant à s’apercevoir que l’objet réel de sa mission n’était point de ceux qu’il pouvait avouer à Vienne. Restait la proposition de neutralité, qui n’eût point exigé, à la rigueur, le déplacement d’un tel personnage. Que répondait l’empereur d’Autriche ? — Si l’empereur Nicolas veut la paix, disait à peu près J’empereur François-Joseph, qu’il accepte les propositions adoptées. Sî, pour se prononcer sur ce point, il attend les explications sur l’entrée des flottes, il déplace la question ; ces explications dépendront bien plutôt de sa réponse. Si le tsar passe outre, l’Autriche doit appeler son attention sur ce fait, que non-seulement elle ne promet pas de rester neutre, mais que tous les traités entre la Turquie et la Russie sont en question. — Une conversation tout aussi significative avait lieu entre le comte Orlof et le comte de Buol. — Nous resterons neutres, disait celui-ci, tant que le Danube ne sera point franchi. — Et si nous le passons ? — Je vous engage à réfléchir, parce qu’alors votre retraite poui-rait n’être point assurée. — Ce serait donc la guerre ? — Absolument. Le seul résultat de la mission du comte Orlof, c’est que M. de Buol, à titre privé, prenait l’initiative d’une combinaison qui avait pour but de sauver l’amour-propre du tsar, particulièrement irrité d’avoir à compter avec la conférence de Vienne. Telle est l’origine des prétendus préliminaires de paix proposés par la Russie et définitivement écartés par le protocole du 7 mars. Dans l’intervalle, une autre circonstance s’était produite. Au mois de février dernier, M. de Nesselrode faisait parvenir aux cours allemandes une circulaire où il rappelait que l’alliance des cours du Nord avait été la sauvegarde de l’ordre social en Europe, ajoutant que leur division actuelle faisait renaître tous les dangers, M. de Buol ne laissait pas ces insinuations sans réponse. Il adressait à son tour aux mêmes cours de l’Allemagne un mémorandum où il disait que dans toutes les occasions l’Autriche avait eu pour politique de soutenir les traités et de défendre les droits consacrés, quelle était restée, pour sa part, fidèle à cette tradition, mais que depuis quelque temps il s’était fait une si étrange application des principes, qu’il n’était pas surprenant que l’Autriche n’eût pu s’y associer. Enfin, lorsque l’Angleterre et la France ont adressé à la Russie une intimation définitive d’évacuer les principautés, le cabinet de Vienne a fait appuyer par écrit cette intimation. C’est ainsi, par celle série de faits dont l’exactitude ne nous semble pas douteuse, que se caractérisent les véritables dispositions de l’Autriche et son attitude réelle vis-à-vis du gouvernement russe. Le cabinet de Saint-Pétersbourg ne l’ignore pas, et M. de Nesselrode le prouvait bien en disant récemment avec une naïveté singulière au comte Esterhazy, ministre d’Autriche : « Il faut que les menaces de la France aient exercé un grand empire sur votre cabinet, pour l’engager à tenir la conduite qu’il tient ! » Mot malheureux, et qui en rappelle un autre plus cruel encore et aussi peu mérité, échappé comme aujourd’hui à l’enivrement de la force trompée ! C’est la déception, amèrement exprimée, de cette sécurité singulière avec laquelle le tsar se croyait en droit de disposer de l’Autriche dans ses négociations secrètes avec l’Angleterre. Qu’en faut-il