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tement parce qu’à des entraînemens sans limites ont succédé des réactions aussi peu modérées. Au nord de l’Europe, le Danemark lui-même flotte aujourd’hui dans des oscillations dont l’origine remonte à cette époque. La session des chambres danoises, ouverte le 4 octobre 1853, s’est terminée récemment en laissant le pays dans un désordre singulier. On n’a pas oublié qu’après 1848 le Danemark eut à soutenir une lutte acharnée pour disputer le Slesvig à l’influence de la Prusse, qui prétendait séparer le duché de la monarchie danoise. Le Danemark sortait victorieux de ce conflit, et le germanisme était repoussé au-delà de l’Eyder. L’orgueil danois était satisfait, d’autant plus que le roi Frédéric VII venait de doter le pays d’une constitution. Seulement ici commençaient les difficultés : l’Allemagne voulait regagner par la diplomatie ce qu’elle avait perdu sur le champ de bataille. Elle eût trouvé la Russie contraire à ses desseins, si elle avait voulu porter quelque coup à la monarchie danoise ; elle la trouvait favorable en tournant ses efforts contre le régime libéral institué par le roi Frédéric VII. Le premier succès de cette action, combinée dans un sens absolutiste, c’était d’obtenir que la constitution ne fût pas applicable au Slesvig, pas plus qu’aux deux duchés du Holstein et de Lauenbourg. Dès lors, la loi fondamentale de 1849 n’était plus que la constitution d’une partie de la monarchie, une espèce de constitution provinciale qui devrait nécessairement se subordonner aux règles supérieures d’une loi commune à tout le pays. Là est le germe des difficultés actuelles. Qu’est-il arrivé en effet ? Le ministère danois s’est proposé de faire abolir par les chambres de Copenhague les institutions établies en 1849, sous prétexte de la nécessité d’une loi fondamentale applicable à toute la monarchie ; mais en même temps, outre qu’il prétendait que cette constitution commune devrait être octroyée par le roi, il refusait d’en faire connaître le sens et les principes. C’est sur ce terrain que le combat s’engageait récemment entre les partisans du régime libéral et le ministère présidé par M. Œrsted. Au mois de février dernier, un projet ministériel, déclarant que la constitution commune serait octroyée par le roi, était repoussée au Folkething par 97 voix contre 1. Porté à la chambre supérieure ou Landsthing, le projet ministériel subissait le même sort. Les chambres danoises ne refusaient pas de se prêter à des changemens constitutionnels, mais elles refusaient de donner un vote avant de connaître le projet de constitution nouvelle. Comment s’explique cette étrange tentative de réaction ? Elle ne s’explique que par la docilité du ministère aux influences étrangères qui agissent dans un sens absolutiste. Voilà donc dans quel état se trouvait récemment le Danemark. Les chambres manifestaient leur ferme volonté de maintenir les institutions libérales. Le ministère avait contre lui non-seulement la représentation nationale, mais encore l’immense majorité du pays. Une telle situation ne pouvait se prolonger longtemps, d’autant plus que la loyauté de Frédéric VII se refusait à toute violation du pacte constitutionnel ; elle vient en effet d’arriver à un dénouement. Le cabinet présidé par M. Œrsted a donné sa démission. Au point de vue des complications actuelles de l’Europe, la chute du ministère danois, qui a coïncidé avec la visite de l’amiral Napier au roi Frédéric VII, peut avoir son importance ;