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reste, la retenue, c’est peut-être s’exposer à rencontrer plus d’un incrédule : il faut donc expliquer des éloges qui, s’ils étaient trop brièvement formulés, ressembleraient fort à un paradoxe ou tout au moins à une imprudence.

Les phases successives qu’a traversées déjà le talent de M. Chassériau résument assez bien l’histoire même des transformations de notre école moderne, sous les influences diverses de ses chefs. Il y a un peu moins de vingt ans, au moment où, les premiers accès de fièvre romantique une fois calmés, on sentit le besoin de restaurer des forces qui commençaient à s’user dans une agitation stérile, l’école presque tout entière se mit au régime prescrit par le noble peintre d’Homère et de Saint Symphorien, régime sévère, admirablement approprié à l’organisation de quelques-uns, mais trop peu substantiel pour la plupart des autres, parce qu’il n’alimentait que d’antidotes, pour ainsi dire, des esprits jeunes et affamés. Ce qui avait paru un moyen assuré de salut ne tarda donc pas à être envisagé comme un nouveau péril, et si l’admiration pour les œuvres et le génie propre du maître resta, au fond, tout aussi respectueuse, on osa bientôt se soustraire à l’autorité de ses enseignemens. M. Chassériau, l’un des premiers, et avec plus de hardiesse que qui que ce soit, passa de cet état de soumission absolue à la révolte ouverte. Après avoir, au début, procédé formellement des doctrines de M. Ingres, il les renia pour la foi contraire, pour les doctrines de M. Delacroix. Jamais émancipation ne fut plus manifeste, jamais peintre ne démentit plus résolument son origine, et lorsque M. Chassériau décorait il y a quelques années l’escalier de la Cour des Comptes, à coup sûr il ne craignait guère de mettre en oubli les leçons de son premier maître. La mémoire lui est revenue depuis lors. Tout en cherchant à profiter des exemples de M. Delacroix, il s’est souvenu aussi des principes puisés dans l’atelier de M. Ingres, et, ses instincts personnels aidant, il a su se créer une manière, non sans imperfections assurément, mais où le sentiment de la vie se combine souvent avec l’élévation du style. Compromis naguère dans des essais moins vigoureux que véhémens, ce talent, de haute race pourtant, courait grand risque de se fourvoyer et d’aboutir, contrairement aux espérances qu’il avait fait naître, à je ne sais quelles habitudes d’incorrections fougueuses, à un parti pris d’agressions et de défis; tel qu’il apparaît aujourd’hui, moins confiant en soi et plus sobre, il n’a rien perdu de sa force native, et il la fait d’autant mieux sentir qu’il hésite davantage à la montrer.

La chapelle du Baptême, à Saint-Roch, atteste ce progrès. Plus clairement encore que le Tepidarium, — l’un des tableaux les plus remarquables d’ailleurs du salon dernier, — elle laisse voir le désir assez nouveau chez le peintre de s’interroger à fond et de ne pas prendre les suggestions du caprice pour les conseils réfléchis de la pensée. Sans doute on pourrait noter dans plusieurs parties quelques indices de précipitation, quelques négligences de dessin qui accusent, selon la coutume, une volonté trop prompte à se satisfaire. Ainsi certaine figure d’ange placée à côté du saint Philippe, le saint lui-même, rappellent, par le caractère douteux des intentions et de la forme, ce goût pour l’à-peu-près, auquel M. Chassériau obéissait avec une facilité regrettable; mais en général l’effort est ici plus consciencieux, le pinceau a beaucoup moins de hâte que par le passé, et le sentiment, en se