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réglant, s’est détendu et non affaibli. Voyez par exemple dans ce même Saint Philippe baptisant l’eunuque de la reine d’Ethiopie le char où se groupent des femmes et des jeunes gens en regardant la scène avec une sorte de curiosité nonchalante et de surprise puérile. Ce mélange de langueur et d’animation est senti et rendu dans une juste mesure; moins discrètement exprimé, il aurait nui à la majesté de l’ensemble, tandis qu’il complète à merveille le sujet et achève d’en déterminer le sens. C’est ce qu’on peut dire aussi et avec plus d’à-propos encore des figures qui entourent le personnage principal dans la composition faisant face au Saint Philippe, — Saint François-Xavier donnant le baptême à des Indiens et à des Japonais. Tous ces sauvages agenouillés autour de l’apôtre apportent dans la confession de leurs croyances nouvelles leurs habitudes d’idolâtrie, et semblent confondre dans le même culte le Dieu qu’on leur enseigne et l’homme qui parle en son nom. Ils rampent en quelque sorte aux pieds de celui-ci, ils effleurent ses vêtemens de la main et des lèvres, comme pour s’initier à la vérité spirituelle par le témoignage des sens. Une figure de guerrier, entre autres, respire pleinement cette soumission à demi raisonnée, à demi instinctive, cette ferveur qu’on dirait née surtout de la fascination; la tête du saint et celle du jeune acolyte qui présente l’eau du baptême expriment au contraire une foi tout intelligente et la clairvoyance de la charité. Il y a là quelque chose de trouvé, de vrai, de caractéristique sans excès, qui suffirait pour donner au travail de M. Chassériau une valeur réelle et un intérêt sérieux. Ajoutons que l’ensemble de la composition se recommande par une ordonnance large et la tranquillité des lignes. Le coloris même, la touche, n’ont plus de ces violences qui choquaient ailleurs, et qui, au lieu d’accentuer la vie, n’arrivaient trop souvent qu’à la faire grimacer ou à parodier la puissance. Point de formes surchargées ni de tons prétentieux; partout ou presque partout, les traces d’un sentiment qui se consulte et qui ne se défie plus de l’étude.

En continuant à s’observer ainsi, le talent de M. Chassériau peut s’élever à un tout autre rang que celui qu’il a occupé jusqu’ici. Personne sans doute ne songe à contester les belles qualités qui le distinguent, mais bien des gens encore restent offensés, effrayés au moins de ses écarts. Que M. Chassériau achève de les rassurer; qu’il ne garde de son ancienne manière que ce vif instinct de la grandeur, cette ampleur de sentiment que révèlent même ses œuvres les plus imparfaites; en un mot qu’il confirme, dans des travaux plus châtiés encore, le progrès qu’annonce la chapelle du Baptême, et l’on ne se croira plus le droit d’accuser des erreurs dont il aura lui-même si hautement fait justice.


HENRI DELABORDE.


V. DE MARS.