Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Villehardouin et à Joinville ? Au XIVe siècle, à l’époque où les langues modernes, dégagées de leurs premières entraves, produisent tant de chroniques d’une grâce incomparable, lorsque Villani trace le tableau de Florence avec une vivacité lumineuse et un naïf orgueil, lorsque Froissart raconte en se jouant les dernières prouesses de la chevalerie expirante, et s’élève, à propos des malheurs de la patrie, aux plus nobles accens de l’histoire, lorsque le Froissart espagnol, l’habile chroniqueur Ayala, nous peint d’une plume si nette et d’un accent si dramatique les luttes de Pierre le Cruel et de Henri de Transtamare, — où sont les Froissart, où sont les Villani et les Ayala de l’Allemagne ? Qu’on rende hommage, j’y consens, à l’intérêt tout local des premières chroniques en langue tudesque : si précieux qu’ils soient pour l’antiquaire, ces témoignages candides n’ont pas pris place dans la littérature européenne.

La renaissance n’a pas été plus heureuse que le moyen âge. Ne demandez pas un Commynes au XVe siècle allemand, ne demandez au XVIe ni un Lanoue, ni un Montluc, encore moins un Machiavel ; le pays qui a fait la révolution religieuse n’en a pas su tracer l’histoire. Les noms les plus intéressans que vous offrira cette période, ce ne sont pas les Tschudi, les Kanzow, les Thurnmeyer, quoique le style de leurs récits, déjà plus vigoureux et plus net, possède des qualités précieuses ; ce seront plutôt ces érudits qui commencent dès la fin du XVIe siècle à publier pieusement tous les documens du moyen âge et rassemblent ainsi pour une époque meilleure les matériaux de cette histoire qu’ils ne savent pas construire. Avant que Du Gange eût traduit Villehardouin et commenté Joinville, avant même qu’André Duchesne eût songé à recueillir ses Historiæ Francorum scriptores, Marquard Freher leur avait tracé la route. Christophe Gewold, Herwart, les deux Henri Meibom, poursuivent ces recherches laborieuses, et Leibnitz lui-même ne craindra pas de descendre en s’associant aux efforts de cette patiente érudition. C’est aussi le moment où paraissent les premiers essais d’une histoire littéraire universelle. Le Prodrumus de Lambeck, le Polyhistor de Daniel Morhof, attestent la précoce ambition d’une science qui veut suppléer à la beauté de l’art par son ardeur encyclopédique. On voit déjà se dessiner ces tableaux un peu confus de l’activité intellectuelle du genre humain, ces vastes et minutieuses enquêtes qui un siècle plus tard occuperont toute la vie des Brucker, des Eichhorn, des Bouterweck, des Heeren et des Wachler. La liste serait longue, si je voulais la donner ici, de tous ces infatigables ouvriers ; n’oublions pas cependant que nous cherchons les historiens de l’Allemagne. En vain nous citerait-on la Guerre des Hussites par Théobald, la Prise de Magdebourg par Frisius, l’Histoire des Allemands par Jacob Maskow, l’Histoire de l’Empire et des Empereurs d’Allemagne par Henri de Bunau : les