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duc de Ferrare, auprès duquel sa ville natale l’avait député, et Pietro Rossini, également né à Pesaro, et qui publia en 1700 un ouvrage de statistique intitulé : Il Mercurio errante della Grandezza di Roma[1]. Quant à Giuseppe Rossini, père de Gioachino, c’était un de ces pauvres diables d’instrumentistes forains qui vont de ville en ville en soufflant dans une trompette de cuivre, et se tiennent pour heureux et satisfaits quand ils ont en s’époumonant gagné le pain de la journée et le gîte de la nuit. Sinigaglia, Fermo et Forli ont conservé le souvenir des exploits du virtuose errant, qui voyageait en compagnie de sa moitié, Anna Guidarini, l’une des plus belles personnes de la Romagne, mais, hélas! en même temps assez médiocre choriste, et dont toute l’ambition eût été de s’élever jusqu’à l’emploi de seconde chanteuse, rêve d’or qui se serait réalisé peut-être sans cette déplorable faiblesse qu’elle eut de s’amouracher d’un homme qui jouait de la trompette et de l’épouser.

Ils allaient donc ainsi tous deux, pauvres artistes vagabonds, égayant de leur mieux leur misère, passant d’une troupe à l’autre, et courant sur les grands chemins après la fortune, aujourd’hui ici, demain là-bas. Tandis que lui s’escrimait à l’orchestre, elle, jeune et charmante, s’égosillait avec bonheur sur les tréteaux improvisés d’un théâtre de village, et peu à peu, à force de travailler et d’économiser dans ce fortuné pays où l’existence est pour rien, ils avaient fini par gagner de quoi s’acheter une maisonnette et pourvoir à l’éducation de leur fils. La scheggia ritrae del ceppo, dit un proverbe italien qui prosaïquement signifierait chez nous : bon chien chasse de race. Vrai portrait de sa mère pour les qualités physiques, de sa ravissante mère, dont il était l’orgueil et l’adoration, le jeune Joachim, pour l’espièglerie, l’humeur indépendante et buissonnière, n’avait pas son égal dans les États-Romains. Le petit Adonis (ainsi que se plaisaient à l’appeler ses parens) touchait à sa septième année, lorsqu’on le conduisit à Bologne, où cinq ans plus tard (1804) il fut initié par le docteur Angelo Tesei aux premiers rudimens de la musique. Avant peu, il en savait assez pour faire la partie d’enfant de chœur et gagner quelques paoli par semaine. La gentillesse de ses façons, la vivacité de son intelligence, l’originalité de sa personne, charmèrent bientôt tout le monde. Les vénérables métropolitains ne se tenaient pas de joie en entendant cette divine voix de soprano, dont la seule émission, par sa limpidité juvénile et son éclat céleste, leur donnait comme un avant-goût du chant des anges. — Je me trompe fort, disait en 1805 au sortir de l’office des Rameaux un de

  1. Ce livre eut plusieurs éditions : la troisième parut à Rome en 1715 sous le patronage du comte Philippe de Lamberg, cardinal-évêque de Passau, à qui elle est dédiée.