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ronde, on accourait pour applaudir cette musique, éblouissante de verve et d’esprit, et que chantaient à ravir la Marcolini, Galli, Bonoldi et Parlamagni, alors dans toute la fleur de leur talent. Chaque jour Parme, Plaisance, Bergame et Brescia envoyaient à Milan des députations enthousiastes. Les femmes en perdaient la tête, et ne parlaient que du cygne de Pesaro, de l’Orphée de Bologne, du dio della musica. Dans le libretto de la Pietra del Paragone, bouffonnerie d’ailleurs assez amusante et dont le dénoûment des Femmes savantes pouvait avoir fourni l’idée première, figurait, entre autres personnages ridicules, un certain Marforio, journaliste intrigant, hâbleur et poltron, toujours prêt à passer sa plume à travers le ventre des honnêtes gens.

Mille vati al suolo io stendo,
Con un colpo di giornale !

Il en coûte parfois à un auteur d’avoir voulu faire rire son public aux dépens de la critique, dame fort susceptible, comme chacun sait, et qui n’aime pas qu’on la joue. Si Rossini avait pu ignorer cette vérité, plus d’un Marforio de l’orchestre se serait chargé de la lui rappeler, et voici en quels termes s’exprimait à ce propos un journaliste du temps piqué au vif par l’allusion : « Somme toute, ce Rossini, croyez-moi, a plus de bonheur que de talent. Il s’en faut certes que sa musique soit absolument dépourvue de mérite. Il y a de la facilité dans la cavatine de Clarisse : Ecco pietosa ; mais nous avons cent fois entendu mieux, et cet habile homme qu’on porte aux nues n’est, hélas ! ni un Paisiello, ni un Cimarosa, ni un Paër. Quant à moi, je n’hésiterais pas à donner tout le fatras musical de ce maître pour un seul morceau du Romeo e Giulietta de Zingarelli, pour l’air divin d’Ombra adorata par exemple. » Opposer un génie nouveau aux grands maîtres qui l’ont précédé est une tactique qui remonte au déluge, et dont, selon toute vraisemblance, nos arrière-petits-neveux trouveront encore l’usage commode. Par bonheur, l’homme de talent qu’on bat en brèche à l’aide de cette manœuvre traditionnelle peut se dire qu’un jour viendra où lui, à son tour, sera cette mâchoire d’âne dont les Samson de l’avenir se serviront pour assommer la génération nouvelle. Le cas s’est déjà maintes fois présenté pour Rossini, et ce grand esprit, en supposant qu’il lui soit arrivé d’y prendre garde, aura sans doute mis la chose au nombre de tant d’autres petites misères pour lesquelles il n’eut jamais sur les lèvres que persiflage et dédain.

Quoi qu’il en soit, la critique faisait son métier, et les argumens ne lui manquèrent pas. Des pédans prétendaient jadis que Voltaire ne savait pas l’orthographe. « Tant pis pour l’orthographe ! » dit