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Je ne parle pas des héritiers immédiats de Herder, je ne parle pas de Jean de Müller, de Schiller, d’Archenholz, ni de ceux qui, comme Hormayr et Wilken, se rattachent par l’historien de la Suisse à l’auteur des Idées ; s’il y a eu là un groupe d’écrivains qui se préoccupaient de l’art, cette brillante école était très incomplète, et elle a été bientôt arrêtée dans ses progrès par le développement excessif de la critique. Oui, voyez ce que l’érudition et la philosophie de l’histoire ont produit en Allemagne depuis le commencement de ce siècle ! Quelle verve ! quelle audace ! quelle marche conquérante à travers les âges ! On dirait vraiment la période héroïque de la science. C’est là que des navigateurs intrépides s’embarquent chaque jour sur les mers inexplorées et vont à la recherche des nouveaux mondes. Les problèmes les plus ténébreux ont un charme étrange qui les fascine. Il ne reste d’un peuple que des débris épars, des pierres brisées, des mots dont le sens est perdu ; ce sera le point où ils porteront leurs efforts, et avec ces fragmens d’édifices et ces lambeaux d’idiomes ils reconstruiront une civilisation tout entière ! Il semble qu’ils se soient dit : « Nous n’avons pas eu la vie politique, et ce grand art de conter dramatiquement l’histoire nous a été refusé ; nous aurons du moins l’histoire savante, l’histoire conquérante et philosophique, celle qui retrouve le passé enfoui sous les siècles, comme la géologie moderne, sous les couches de ce sol qui nous porte, retrouve les scènes grandioses d’une nature disparue. Il y a un monument à construire à l’éternel honneur du genre humain, et c’est l’Allemagne qui le donnera au monde. » — Eh bien ! non, cette gloire même qui leur était due, ils n’ont pas su l’atteindre. Pour fixer ces efforts de la science dans un monument immortel, il fallait la main d’un artiste, et l’artiste n’est pas venu. Niebuhr, Creuzer, Jacob Grimm, ce sont là de bien grands noms à coup sûr : pourquoi, parmi tant de bénédictins, n’y a-t-il pas un Augustin Thierry ? Au milieu de tant de prodigieux travaux, comment ne s’est-il pas levé un Alexandre de Humboldt pour tracer le cosmos de l’histoire ?

Et puis, il faut oser le dire, combien de puérilités dans une érudition qui ne sait pas se borner ! Que de conjectures oiseuses et de ridicules paradoxes dans une philosophie de l’histoire qui prétend donner le commentaire universel des choses ! Voyez ce savant qui connaît mieux que personne au monde l’histoire de la civilisation romaine ; il pourrait écrire un livre où la vérité fût vivante et le faire lire à la foule : tâche médiocre pour un tel homme ! Le docte Drumann, c’est de lui que je parle, aime mieux rechercher la généalogie de toutes les familles latines, et il épuisera dans ce prétentieux tour de force un zèle qu’il pouvait si bien employer. Lorsque parut à Londres, il y a quelques années, la belle Histoire de Grèce, de