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seront conciliés la parole royale, le serment juré, ce que l’on doit aux hommes et ce que l’on doit à Dieu. La conscience tranquillisée par ce pacte, Philippe II se prépare à exterminer, s’il le faut, tous ses peuples. Il a la paix antique du prêtre qui accomplit un sacrifice humain :


« Vous assurerez sa sainteté (écrit-il à l’ambassadeur d’Espagne) que je tâcherai d’arranger les choses de la religion aux Pays-Bas, si c’est possible, sans recourir à la force, parce que ce moyen entraînera la totale destruction du pays, mais que je suis déterminé à l’employer cependant, si je ne puis d’une autre manière régler le tout comme je le désire, et en ce cas je veux être moi-même l’exécuteur de mes intentions, sans que ni le péril que je puis courir, ni la ruine de ces provinces, ni celle des autres états qui me restent, puissent m’empêcher d’accomplir ce qu’un prince chrétien et craignant Dieu est tenu de faire pour son saint service et le maintien de la foi catholique[1]. »


Le fils de Charles-Quint n’est pas seulement un monarque, c’est un système, c’est l’idéal du roi tel que l’institue le concile de Trente : voilà pourquoi je dirais volontiers avec un écrivain : J’aime Philippe II; j’aime cette longue, froide figure de marbre, inexorable comme un appareil de logique, qui ne laisse rien à désirer ni à inventer. Si le concile de Trente pouvait être représenté la couronne sur la tête, je ne pourrais me le figurer autrement que sous les traits de Philippe II, et ce qui montre bien que chez lui le système est tout l’homme, c’est que l’homme disparaît dès que le système n’est pas en jeu. Irrésolution, incertitude, confusion, voilà le plus souvent, dans ses conseils, le roi de l’Escurial ; empruntant ses décisions à ses créatures, muet, invisible, il ne redevient lui-même, il n’existe que si la question religieuse est posée. Alors le roseau qui se pliait à tous les vents se redresse, il devient la verge de fer, le monde se courbe devant lui.

C’est au nom de la religion que l’Espagne engage la lutte contre les Pays-Bas : pour que la lutte soit égale, c’est au nom de la religion que les Pays-Bas doivent se défendre ; mais qui pèsera dans la balance en face de Philippe II ? Il s’arme de toutes les forces morales du catholicisme. Où sera, de l’autre côté, le point moral pour appuyer la résistance ? Quel sera entre tous les hommes levés pour la défense de la Belgique celui qui représentera d’une manière particulière l’amour de la foi nouvelle et l’horreur de l’ancienne ? Qui rendra à Philippe II anathème pour anathème ? Qui parlera, qui combattra au nom de la réforme ? Je cherche ce point moral que les historiens ne m’ont pas montré, et qui pourtant doit exister.

  1. Correspondance de Philippe II.