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délibère ; comment à ce premier moment gouvernerait-il la révolution qui l’a surpris ? Il faut que la lumière se fasse dans son intelligence, et ce temps employé à s’éclairer, il le perd pour le combat. Il est encore catholique de fait, c’est-à-dire que, sans aucune foi, il a conservé tous les préjugés des croyances qui ne sont plus les siennes : hostile au calvinisme comme tous les princes allemands, cela seul le rendrait incapable d’être le chef d’un mouvement calviniste. On a voulu expliquer par des calculs d’une profondeur infinie ce qui était alors en grande partie chez lui l’effet de sa situation d’esprit. Ce n’est pas tout d’être un grand homme ; il faut encore que le moment soit venu pour le héros de voir et de comprendre sa mission. Les hésitations, les incertitudes d’opinions, se joignant en ce moment chez Guillaume d’Orange à la circonspection naturelle de son caractère, font de cette époque de sa vie une contradiction perpétuelle où son génie d’action reste paralysé ; mais c’est sa gloire qu’après avoir été surpassé au début par l’instinct populaire, il ait si bien pris sa revanche et entraîné ceux qui l’avaient précédé.

Les chefs naturels de la révolution s’étaient démentis dès le premier jour ; il s’ensuivit qu’elle fut conduite à l’origine par des hommes inconnus ou privés de l’autorité nécessaire pour assurer la victoire[1]. Les jeunes gens sortis de l’école de Genève forment dans la noblesse le premier groupe qui remplit alors la scène. Neuf d’entre eux se réunissent à Bréda, dans le château du prince d’Orange. Aucun d’eux n’était célèbre ; mais ils possédaient ce grand avantage de savoir mieux que personne ce qu’il fallait pour donner un corps à la révolution et la faire irrévocable. L’un d’eux surtout, l’air pensif et résolu, c’était Philippe de Marnix, voulait que le premier acte enchaînât la noblesse par un engagement réciproque qui lierait les timides à la fortune des audacieux. Il s’agissait de marquer les conditions qu’on imposerait à la monarchie espagnole, déclaration des droits qui devait précéder une guerre de près d’un siècle. Pour cet acte solennel, il faut un langage où l’on sente en même temps l’enthousiasme de la foi nouvelle et la fermeté mesurée de l’homme d’état. Marnix, au milieu du groupe des conjurés, lit la déclaration qu’il a rédigée ; elle se termine ainsi :


« Ayant toutes choses bien et dûment considéré, nous estimons qu’il est de notre devoir d’y obvier, afin de n’être exposés en proie à ceux qui sous couleur de religion ou d’inquisition se voudraient enrichir aux dépends de notre sang et de nos biens. En conséquence nous avons avisé de faire une bonne, ferme et stable alliance et confédération, nous obligeant et promettant l’un à l’autre, par serment solennel, d’empêcher de tout notre pouvoir

  1. « Belgiuin esse planè eversum stultitià procerum et ignaviâ non ignoras. » Languet, Épist. IV.