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hardi coup de main sur les côtes de Flessingue et de Zélande pour s’emparer des ports et fermer le passage aux troupes espagnoles que l’on supposait devoir arriver par la route de mer.

Aucun des biographes de Marnix ne dit un mot de cette entreprise, et pourtant il en était le chef, suivant le témoignage formel du général espagnol envoyé pour la combattre[1]. Tout ce que l’on peut conclure à travers la confusion des récits, c’est que les deux frères, Philippe et Jean de Marnix, firent des levées d’hommes dans le Brabant, surtout dans Anvers, avec la demi-complicité du prince d’Orange. Les Français, dont la main est visible dans tous les premiers mouvemens des Pays-Bas, ne manquent pas à ce rendez-vous. Sur trois vaisseaux dont se composait la flotte, l’un des navires était commandé par un Français. Cette petite armée de révoltés s’embarque ouvertement, enseignes déployées, sur l’Escaut; elle fait une descente à Flessingue et en Zélande; repoussée de ces deux points, Jean de Marnix la ramène à Anvers; les troupes débarquent et se fortifient dans le village le plus voisin, Austruwell. Un grand nombre d’exilés, gueux des bois, gueux de mer, grossissent cette avant-garde de la révolution. Les Marnix avaient eu soin de s’appuyer aux murs d’Anvers, où commandait le prince d’Orange; ils comptaient aveuglément sur son concours.

A la première nouvelle de ce rassemblement d’insurgés qui jusque-là n’avait trouvé aucun obstacle, la duchesse de Parme charge Beauvoir de Lannoy de le disperser ou de le noyer dans l’Escaut; elle avait donné à cet officier jusqu’à ses propres gardes. Beauvoir court au milieu de la nuit surprendre les troupes des Marnix. En voyant déboucher les Espagnols, celles-ci les prirent pour les renforts que Louis de Nassau était allé chercher sur le Rhin. L’illusion fut courte. Les Espagnols, après avoir tenu quelque temps leurs enseignes basses comme pour fraterniser, les relèvent brusquement, et tombent sur les bandes à demi formées de Jean de Marnix. Au bruit de l’attaque, Anvers s’ébranle : le parti des gueux se précipite au secours des insurgés; mais les ponts avaient été coupés secrètement la veille par Guillaume. Une défection inattendue mit le comble à la détresse des révoltés. Les luthériens, effrayés de la réforme à ce premier moment, font alliance avec les papistes; les partisans de Rome et ceux de Luther descendent en armes dans la rue; ils fraternisent et enveloppent sous la conduite d’Orange les nouveaux réformés. Ceux-ci ne purent qu’assister en frémissant du haut des remparts au combat

  1. Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 218, t. Ier, p. 206, 402, 521, 546.