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espagnole et de la servitude catholique. Aldegonde le lui montra; il donna un centre de gravité à cet esprit jusque-là oscillant. Le Taciturne embrassa la foi du jeune apôtre; ce fut le nœud de leur héroïque amitié. Sully et Duplessis-Mornay ne furent jamais pour Henri IV ce que Marnix ne cessa un moment d’être pour Guillaume.

Aussi, quand le prince d’Orange, en 1568, rentre dans la lutte, vous voyez un homme tout nouveau. Ce n’est plus le grand seigneur qui transige avec les partis et attend la fortune. Converti aux opinions nouvelles, au moins dans leurs rapports avec la politique, il a désormais un principe qui l’éclaire : il sait où il va. Plus un moment de trouble ni d’hésitation. Il la délibéré, dit Marnix, de mettre le tout pour le tout. Et en effet c’est Guillaume qui désormais relèvera les esprits, s’ils s’abattent; il domine la mêlée, il lit à travers les perfidies, il voit clair dans la nuit; il rapporte de l’exil une armure invincible. Heureux celui qui s’est ainsi retrempé dans la défaite, et qui après son épreuve reparaît au jour avec des pensées plus sereines et plus hautes ! La fortune se repent et s’incline devant lui.

La première action de Guillaume d’Orange répond au changement intérieur qui s’est opéré en lui. Rien de plus téméraire, ni de plus imprévu. Dans le temps même où les dix-sept provinces étaient foulées sans résistance par le duc d’Albe, on apprend que le prince d’Orange a passé la Meuse dans la nuit du 5 au 6 octobre 1568, à la tête de vingt-quatre mille hommes recrutés en Allemagne. Ses proclamations appellent aux armes le peuple des villes et des campagnes. Guillaume s’avance du pays de Liège vers les plaines du Brabant. Sans vivres, sans argent, il a compté que les peuples, en courant à la liberté, lui fourniront tout ce qui lui manque. Il traverse Tongres au milieu d’une population que la peur glace encore. Une chose prouva que le système du duc d’Albe avait réussi : c’est que personne ne bougea. Le duc s’était contenté jusque-là de prendre le sang[1] des nobles et du peuple, et n’avait pas réclamé le dixième denier; chacun se montrait patient dans le supplice d’autrui.

Isolé au milieu des Belges que retenait la terreur, Orange ne put que tourbillonner autour des places qui lui restaient fermées. Le duc d’Albe n’eut qu’à refuser le combat pour voir l’armée des réfugiés se fondre de misère; il voulut bien à la fin l’attaquer au passage de la Janche, où il lui tua trois mille hommes. Orange revient à Liège, puis de nouveau traqué, et sa ligne de retraite perdue, il s’aventure pour la seconde fois dans le Brabant; il traîne à peine quelques restes de son armée dans la direction de Wavre, Gembloux, les Quatre-Bras, Gosselies, par où il se retire en France, marquant exactement les étapes de Waterloo. La campagne, ouverte le 5 octobre 1568,

  1. Grotius, Annales et Historiœ de rébus Belgicis.