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effroyable à l’un des chefs de l’inquisition, l’évêque Sonnius[1]; en voici le début, traduit par Marnix lui-même en français plus de vingt ans avant la Ménippée :


« La ruche en laquelle nos mouches se logent, s’assemblent et font leur ouvrage, se fait de souples et fortes claies et osiers de Louvain, de Paris ou de Cologne, bien subtilement entrelacées; on les nomme communément à Louvain sophismes; on les trouve à vendre chez les corbeillers de l’église romaine, comme chez Jean Scot, Thomas d’Aquin, Albert le Grand et autres semblables maîtres qui ont été fort subtils en cet art. Or, pour la plus grande sûreté, il faut encore lier ces claies et les joindre ensemble avec de gros câbles ou cabales judaïques ou thalmudiques, et y tirer dessus de bon ciment bien composé de vieilles ruines, dont les vieux et caducs conciles ont été maçonnés, brisé et estampé bien menu, et mêlé avec de la paille coupée que les apothicaires nomment palea decretorum, l’arrosant à chaque fois de l’écume ou bave des anciens docteurs, et y mêlant aussi quelque peu de chaux fraîche de Trente. Tout cela, bien broyé ensemble, se mêle avec du sablon tiré des puits creusés de l’humaine superstition, ou bien de ce sable dont les anciens hérétiques enfilaient leurs cordons ; tu peux aussi ajouter un peu de ce limon glueux, ou bitume des Indes, qui est une matière fort lente et tillasse, dont jadis la ville et la tour de Babel fut cimentée, et se tire hors du lac de Sodome et Gomorrhe... car cela est plaisant à l’œil, et est cause que les mouches y logent et conversent plus volontiers. »


Que pouvaient les haches et les gibets contre une arme semblable ? Il se trouvait des mains invisibles pour déposer la Ruche jusque sur les marches des échafauds; le bourreau lui-même y perdit son sérieux; le duc d’Albe à son tour se sentit vaincu comme Granvelle; il était devenu ridicule. Par l’hymne de Guillaume, Marnix avait ranimé l’enthousiasme religieux et guerrier; par la Ruche romaine, il rend à tous le vrai sentiment de la force, la joie, l’hilarité dans l’extrême péril; il peut désormais attendre l’effet de ses paroles.


V.

Au commencement de l’année 1572, la vie nationale paraissait si bien éteinte dans les dix-sept provinces et la ruine si irrévocablement consommée, que le duc d’Albe se préparait à les quitter pour aller jouir de son triomphe en Espagne. Il s’était fait élever sa statue dans la citadelle d’Anvers, et il foulait en paix, de ses pieds de bronze, son immortelle conquête. Dans chacune de ses lettres au roi d’Espagne, il annonçait que ses successeurs n’auraient qu’à jouir du repos qu’il avait assuré.

Cette histoire semble faite pour l’instruction des hommes qui

  1. Vigli. Epistolœ politicœ et historicœ ad Hopperum, 1661.