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souffrent pour la justice; elle leur apprend ce qu’il y a de légitime et de sacré dans l’espérance, car assurément jamais cause plus nationale ne sembla plus irrévocablement perdue. Au dedans le silence, l’accablement, la terreur, l’expérience de la tentative avortée du prince d’Orange, tout le pays parcouru et fouillé par les bannis sans qu’une voix eût répondu, partout l’assentiment donné à la force, et déjà chez beaucoup la sénilité immodérée et insolente, l’immense monarchie espagnole pesant du poids de deux mondes sur un coin de terre privé de la meilleure partie de ses habitans. D’où le salut pouvait-il venir ? Les exilés eux-mêmes n’espéraient plus[1].

Le salut viendra d’où il était impossible de l’attendre. La reine d’Angleterre repousse de ses ports quelques réfugiés qui s’y étaient abrités. Deux cent cinquante gueux de mer, sous la conduite du farouche Guillaume de Lamark, mettent à la voile. Ballottés par la tempête, exclus de tous les rivages, ces hommes n’ont de patrie désormais que celle qu’ils pourront conquérir. L’orage les jette à l’embouchure de la Meuse; ils s’emparent de la forteresse de La Brille. La Hollande naufragée a trouvé un point fixe; elle s’y arrête. Le grain porté par l’orage est tombé sur le rocher et s’enracine. L’arbre qui va naître de ce germe étendra ses branches jusqu’aux Indes Orientales.

Ainsi s’accomplissait l’expédition que les deux Marnix avaient conçue et tentée sur Flessingue. Transporter le champ de bataille sur les côtes et sur la mer, c’était vaincre d’avance. L’Espagne est déconcertée par cette tactique imprévue; le génie de la Hollande vient de se révéler. A la première nouvelle de cet intrépide fait d’armes, Guillaume laisse cependant éclater un vif mécontentement; l’explosion avait encore une fois devancé ses profonds calculs; sans doute on allait payer cher une joie prématurée. L’incertitude ne fut pas longue. La prise de La Brille a lieu le 1er avril 1572. Flessingue tombe au pouvoir des insurgés le 6; Rotterdam se déclare le 8. On ne pouvait plus en douter, ce n’était pas seulement un coup de main de gens désespérés, c’était le soulèvement d’un peuple qui attendait un chef.

Pendant que Guillaume forme à la hâte une armée, Marnix se jette dans les villes insurgées de la Hollande et de la Zélande. Tel est le sentiment de l’ordre et de la règle chez ces peuples, que dès le premier moment de l’insurrection ils ont déjà réuni leurs états-généraux, qui délibèrent gravement au milieu de la conflagration publique comme en pleine paix. À cette première assemblée de Dordrecht, qu’un écrivain a nommée le concile de Trente de la liberté, Marnix

  1. Voyez la correspondance du duc d’Albe.