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où le soleil ne se couche pas. Il ne crut pas à la victoire de l’atome contre un monde ; il désespéra et il l’avoua.

Si, quelques années auparavant, il avait prêté son assistance morale à Guillaume, celui-ci le lui rendit ce jour-là. Mélange de prudence et d’inflexibilité, la réponse d’Orange lui fera un éternel honneur. Il dit, choses qui semblaient inconciliables, tout ce qu’il faut pour sauver son ami et tout ce qu’il faut pour relever la conscience publique ; il entre dans les vues de Marnix en envoyant aux états le projet de négociation. D’autre part, en quelques paroles de bronze, il demande si la paix avec l’Espagne peut être autre chose qu’un leurre, s’il ne vaut pas mieux continuer, tête baissée, une lutte impossible, si les opinions, les principes, les croyances, n’ont pas mis un abîme entre les deux peuples, si l’on n’est pas réduit à la nécessité de combattre jusqu’au dernier sang et de se remettre de tout à Dieu ? Marnix avait fait cent fois en d’autres temps la réponse à ces questions ; il entendait ses propres paroles lui revenir par la bouche d’un grand homme. Guillaume avait désespéré en 1566 ; Marnix en 1573 ; tous deux s’étaient relevés l’un par l’autre. Bientôt ils se virent, la négociation tomba d’elle-même. Dans ces entrefaites, le duc d’Albe était parti des Pays-Bas. En octobre 1574, Marnix, échangé contre Mondragon, retrouve sa liberté après une année qui ne fut qu’une longue agonie.

C’est dans sa prison, et pour ainsi dire sur l’échafaud, qu’il commença sa traduction des psaumes en hollandais. La Bible hollandaise naît dans la captivité d’Utrecht, comme la Bible allemande dans la captivité de la Wartbourg. Cette traduction, qui devait être un des fondemens de la langue flamande, ne parut que quelques années plus tard. Suivant les paroles de l’auteur, il la continue tantôt en exil, tantôt en prison, tantôt dans la main de l’ennemi, toujours au milieu de mille tourmens. Il fit une double version, l’une en prose, l’autre en vers rimes, pour se prêter aux usages du culte. Nulle traduction des psaumes et des cantiques n’a été entreprise dans des circonstances plus semblables à celles d’où naquirent les chants hébreux : un peuple, menacé chaque jour de périr, qui s’appuie sur le bras d’un héros ; un homme désarmé, qui renverse le Goliath espagnol. Il est probable que c’est à ces ressemblances de destinées que les psaumes de Marnix doivent en partie cette simplicité poignante[1] et cette sombre flamme du désert qu’il a su le premier découvrir sous les glaces de la langue des Frisons. Marnix lui-même semblait le prophète ou le pontife laïque de la Sion néerlandaise. Il dédie sa Bible aux états. Ceux-ci avaient mérité, par leur admirable constance, que

  1. Broes, Van Marnix, t. III, p. 157.