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s’insurge pour ne pas être dévorée vive par les bandes toujours affamées de Philippe II; celles-ci tenaient pour hérétique et traitaient comme tel quiconque pouvait leur servir de pâture[1]. Dans ce bouleversement, les états-généraux surnagent encore une fois; ils se rassemblent à Gand, sous le feu de la citadelle, restée au pouvoir de l’ennemi. Le premier instinct fut de s’appuyer sur la révolution hollandaise et sur le prince d’Orange. Déjà Marnix était entré dans l’assemblée avec les pleins-pouvoirs de la Hollande et du prince; il venait tenter à Bruxelles ce qu’il avait accompli à Dordrecht.

Rien, ce semble, n’était plus aisé que de profiter de l’absence de l’ennemi pour se confédérer; pourtant nulle entreprise ne fut plus difficile que celle qui était confiée en ce moment à Aldegonde; il était loin de retrouver la Belgique telle qu’il l’avait laissée dans les années ardentes de 1566 et de 1567. « J’ai trouvé, écrivait-il, plus d’altérations des cœurs que je n’eusse pensé. » Une génération nouvelle entrait tête basse sur la scène. La Belgique sortait anéantie de la chambre de torture; la meilleure partie des ouvriers avait été décimée par le bûcher, par le gibet, par l’exil, par la fuite; les masses d’émigrans avaient emporté en Angleterre et en Hollande la vieille industrie des Flandres. Déjà commençaient la dépopulation et le silence. Un peuple diminué, exténué, dépouillé, glissait furtivement au pied des tours et des beffrois muets de Bruxelles, d’Anvers, de Bruges, ombre du peuple fier, indomptable, qui avait élevé à la liberté communale ces gigantesques remparts. Grâce au duc d’Albe, peu d’années avaient suffi pour ce changement. La nation était ou absente ou hébétée de supplices et de peur; la voix publique semblait prononcer le mot fatal : « Il est trop tard. »

Une seule ville s’était relevée avec l’ardeur première de 1566, augmentée plutôt que domptée par le souvenir des supplices. C’était Gand, qui s’efforçait alors de devenir la Genève du nord. Malgré tous les meurtres, la réforme s’était retrouvée là, sous l’échafaud; elle avait vu de trop près son adversaire pour ne pas être convaincue que, si elle ne le détruisait, elle en serait détruite. Là se relevait implacable la révolution religieuse, bien décidée à rendre au catholicisme guerre pour guerre. Les deux chefs des novateurs, Hembise et Ryhove, n’avaient pas eu de peine à faire comprendre aux réformés que nulle composition n’était possible avec l’église opposée, que plus ils étaient isolés, plus ils étaient certains d’être extirpés, s’ils ne profitaient à leur tour de leur victoire pour accabler l’intolérance de leurs adversaires par leur propre intolérance. On a accusé

  1. « Les Espagnols confisquent tout, à tort, à droit, disant que tous sont hérétiques qui ont du bien et ont à perdre. » Correspondance de Philippe II, t. I, p. 547.