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ans, se trouvant en visite, les bruits l’accompagnèrent aussi. Depuis lors les manifestations se produisirent sur un si grand nombre de points, qu’il serait trop long d’en faire l’énumération. New-York, la ville de huit cent mille âmes, qui avait été la quatrième localité où s’étaient montrés les prodiges, fut immédiatement suivie de trente autres villes telles que Boston, Cincinnati, Saint-Louis, Buffalo. La seule cité de Philadelphie compta trois cents cercles ou sociétés occupés de ces manifestations d’esprits. Chaque société avait son medium, c’est-à-dire une personne dont la constitution spéciale se prête plus favorablement à des relations avec les esprits : c’est ce qu’on appelle un sujet dans le langage du magnétisme animal. Ce mot de medium, d’après son étymologie, signifie un intermédiaire, comme le magicien ou la pythonisse l’étaient autrefois entre l’interrogateur et l’oracle. Ce sujet ou medium peut être un homme ou une femme, mais le plus communément c’est une dame ou une demoiselle. On cite plusieurs mediums américains comme étant d’une rare beauté, circonstance qui peut rendre les esprits sceptiques un peu moins rebelles à la foi réclamée. Telle ou telle complexion n’est pas exclusivement préférable. Dans les grandes villes de l’Union, comme par exemple à Boston, il se rencontrait quarante ou cinquante sujets. Enfin, au mois de septembre 1852, on estimait que dans toute l’étendue des États-Unis le nombre des mediums s’élevait à plus de trente mille, et que le nombre des personnes qui avaient été témoins des manifestations dépassait cinq cent mille. Comme l’état de medium conduit, suivant une expression anglaise, à empocher des dollars, il n’est point étonnant que tant de personnes se soient lancées dans cette facile profession. Je suis même fort étonné que l’on n’ait pas fait parler aux esprits le langage ordinaire des hommes, et qu’on se soit borné à provoquer des réponses par des coups frappés indiquant des nombres, des lettres, ou des affirmations et des négations. Sans doute on n’a pas voulu se trop rapprocher de nos ventriloques, qui font le plus aisément du monde frapper à une porte, mais qui de plus font, en langage ordinaire, appeler du dehors, réclamer du secours du fond d’un puits ou du haut d’une cheminée, de même qu’ils prêtent la parole à une poupée, à un chien, à un mouton, qu’eux-mêmes ou d’autres personnes tiennent entre leurs bras. L’antiquité, le moyen âge, l’Europe, le monde entier et les soirées de M. Comte ont leurs arbres rendant des oracles, leurs animaux parlans. Il n’y a rien sous le soleil de nouveau que ce qui ne l’est pas[1]. Tout ce qui se présente à l’observation calme ou passionnée des hommes a dû se renouveler déjà bien des fois dans le cours des siècles. Ce qui n’est pas plus nouveau que les faits actuels, c’est l’amour du merveilleux, qui se réveille tout aussi vivace dans les siècles modernes que dans ceux des premiers âges de l’humanité.

L’ouvrage anglais de M. Henry Spicer, intitulé Sights and sounds, the Mystery of the day (Ce qu’on voit et ce qu’on entend, ou le Mystère du jour), contient tous les détails désirables sur la vaste extension que ces manifestations prétendues surnaturelles ont prise aux États-Unis, et l’on sait qu’elles

  1. Cest ce qu’on lit dans Ovide comme dans Salomon; mais le dernier ajoute : « Quid est quod futurum est ? — Hoc, quod factum est anteâ. »
    Que sera l’avenir ? — Ce que fut le passé.