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bas ou de haut étage qui font parler les tables, réfléchissons que l’amour du merveilleux, la curiosité et l’espérance, l’impatience d’attendre l’événement, sont des élémens qui entrent dans l’âme humaine. Ne songeons pas à supprimer, mais bien à éclairer les penchans du cœur, et laissons à la loi le soin de réprimer les actes de captation ou de spoliation prévus par le code dans les cas bien définis d’exercice de la sorcellerie, de la magie ou des manifestations surnaturelles. S’il était besoin d’une expérience de plus pour connaître combien le cœur humain est accessible à l’ascendant du merveilleux, il suffirait de jeter un coup d’œil sur l’effet qu’a produit dans les vastes provinces de l’Union américaine une manifestation dont l’origine a été le jeu d’une enfant ventriloque qui s’amusait, par des coups en apparence frappés au mur, à la porte, à la vitre de la chambre, au bois du lit, à répondre aux battemens de mains de sa sœur ou aux siens propres, en feignant d’ordonner à l’esprit de suivre ses indications. Cette jolie petite scène de M. Comte, de Robert Houdin et de cent autres, interprétée au gré du désir des esprits les plus positifs, mais les plus indépendans du monde, savoir les habitans des États-Unis, devient un immense événement. Elle passionne les habitans d’une contrée plus grande que l’Europe et peuplée à peu près comme la France. Trente mille sujets ou mediums correspondent avec les esprits frappeurs. Le nombre actuel de ces mediums est évalué à soixante mille. Des vapeurs légères, des lueurs phosphoriques apparaissent et suivent les esprits. On converse avec les âmes de ses aïeux et avec celles des grands hommes qui ont été par la pensée et par l’action les aïeux de l’humanité entière. Enfin cette épidémie morale, cette frénésie se soutient pendant plusieurs années et envahit plus tard l’Europe entière. Quelle cause! quel effet! surtout quand on pense qu’il n’y a rien de neuf dans tous les prestiges américains !

D’autres exemples que les exemples d’actions physiques prouvent assez d’ailleurs que l’imagination ne connaît pas d’impossibilités. Ainsi, après la révolution de 1830, un grand nombre d’hommes sérieux sont occupés de questions religieuses et des moyens de rappeler à des pratiques qu’ils jugent utiles un grand nombre d’esprits élevés. On songe à introduire en France la grave unitarianisme anglais, à élever des temples à Dieu seul, soli Deo. On rêve la fraternisation de tous les cultes et l’admission du nouveau culte en le rapprochant du catholicisme autant que possible et en lui interdisant tout prosélytisme. Plusieurs personnes prononcent le nom de déisme chrétien : c’est la religion naturelle avec l’Évangile, c’est enfin tout ce qui paraît de mieux adapté aux lumières du siècle. Les événemens marchent, et ce qui sort du mouvement religieux de 1830, c’est le saint-simonisme, c’est cette saturnale philosophique, politique et religieuse qui se heurte à tous les élémens constitutifs de lame humaine, et qui cependant trouve des adeptes dans les classes les plus éclairées de la société ! Plus tard la prétendue liberté conquise par la révolution de 1848 enfante des projets d’organisation politique moins applicables encore à l’homme que les projets des saint-simoniens. Avec les tables tournantes et en admettant même toutes les prétentions des partisans des manifestations, je trouve que la société d’aujourd’hui en est quitte à bon marché; mais enfin j’aimerais mieux le bon sens pur et simple.