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VII.

Quelles sont donc, en résumé, les règles de raisonnement qui doivent nous guider pour la recherche expérimentale des lois dans les sciences d’observation[1] ? Nous ne sommes plus au temps où l’on attribuait à l’action immédiate de la Divinité tout ce qui paraissait extraordinaire dans la nature. Les astres, les météores, étaient guidés par des pouvoirs supérieurs. Jupiter présidait à la pluie, au temps serein, et surtout au tonnerre. Chaque météore donnait un nom à la Divinité : on avait Jupiter pluvieux, Jupiter amonceleur de nuages, Jupiter tonnant, Jupiter serein. Déjà la philosophie des anciens avait admis comme règle qu’il ne fallait recourir à l’action immédiate des dieux que quand il était bien constaté qu’aucune cause naturelle ne pouvait expliquer les phénomènes. Je ne pense pas que personne aujourd’hui soit tenté de raisonner autrement. Dès qu’une cause plausible d’un effet observé se présente sans exiger un agent surnaturel, il est absurde de recourir à celui-ci, et même, dans les cas où, sans pouvoir préciser les effets d’une cause présumée, on trouve l’indication de cette cause à côté du fait qui peut s’y rapporter, on peut attendre sans trop d’impatience que les rapports qui les unissent se développent de plus en plus par des observations subséquentes. Ainsi, après avoir entrevu que les marées étaient en rapport avec la position du soleil et de la lune, on a été conduit enfin à la théorie complète des mouvemens périodiques de la mer dus à ces deux causes, et cela par une série de progrès non interrompus de l’observation et de la théorie, qui montraient de plus en plus la liaison du mouvement des eaux terrestres avec la marche des deux corps célestes qui en étaient la cause et l’origine.

Dans la question qui nous occupe, une table que l’on presse de ses doigts prend un mouvement. A qui persuadera-t-on que la table ne reçoit pas de mouvement des mains qui posent dessus, et si cette action est admise, comment irait-on chercher un effet surnaturel pour expliquer un effet si simple et si ordinaire ? Évidemment ce qu’il y a à chercher ici, c’est la manière dont le mouvement se transmet de la main à la table, et non pas ce qui est la cause du mouvement. En admettant que ce fût un esprit, est-on bien sûr qu’un esprit, chose en général regardée comme très légère et très peu compacte, aurait assez de force, assez d’impulsion, assez de choc, pour mouvoir une lourde table ? Mais, dira-t-on, si Dieu le veut ? Alors je n’ai plus rien à dire quant à la possibilité; mais convenons qu’il sera d’un bien meilleur goût à la pauvre petite espèce humaine de chercher une cause un peu moins

  1. Je demande pardon aux expérimentateurs et aux écrivains qui ont bien voulu me communiquer leurs observations et leurs ouvrages de ne pas présenter ici l’analyse complète de leurs travaux. Le cadre scientifique de la Revue, en ce qui me concerne, ne comprend que la partie des observations positives qui sont susceptibles de conduire à des conclusions précises sur des faits, indépendamment de toute vue étrangère à la science proprement dite. A mesure que les faits se développeront, je réclamerai peut-être l’aide de ceux qui ont bien voulu me faire des offres de concours et de renseignement précis; mais d’ici à longtemps je ne prévois pas pouvoir rien ajouter à ce que j’ai déjà dit, à moins de sortir de la circonscription où je me limite. Les conclusions auxquelles je suis amené me paraissent devoir justifier pleinement cette présomption.