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de tout cela, et nous sommes encore loin de connaître tous les détails de la transmission des effets de la volonté du chef de la chaîne dite magnétique à la table qui obéit à tous les ordres. — Que faut-il faire pour le progrès de cette branche de connaissances ? Il faut bien observer tout ce qui peut se rapporter au cas où en apparence la table semble se mouvoir sans contact immédiat, et si, par impossible, on pouvait soulever et maintenir en l’air une table ou un corps en repos, on pourrait se flatter d’avoir fait la première de toutes les découvertes du siècle. Newton est immortel pour avoir reconnu la pesanteur universelle. Celui qui, sans action mécanique, saurait soustraire un corps à cette pesanteur aurait plus fait encore : il est vrai qu’alors tout croulerait dans la nature; mais qu’importe ? Je déclare, malgré tout ce qu’on peut attendre de la science nouvelle, que je suis pleinement rassuré sur le sort futur des lois de l’univers, en dépit de tous les exorcistes de tables et de tous les esprits frappeurs.

Peut-être le ton de ces conclusions paraîtra-t-il un peu tranchant dans un sujet encore si controversé. Sachant qu’une question bien posée est à moitié résolue, j’ai tenu surtout à établir nettement ce qu’on aura désormais à infirmer ou à défendre. Les admonestations en style peu charitable que m’ont prodiguées les organes de la presse crédule auraient dû cependant me rendre plus modeste. J’ai dit ailleurs que j’avais été surpris et péniblement affecté de voir des esprits de premier ordre se faire un jeu de défendre tous les préjugés que nos pères avaient secoués avec tant de supériorité. Faut-il que je me confesse vaincu ? Soit : je crois à la fois aux démons frappeurs et encaqués dans le bois, aux esprits fluidiques, à l’âme de l’univers, fort à l’étroit dans une planche, à l’éther, à l’électricité, au magnétisme, à tout ce qu’on voudra; je renonce à toutes les notions scientifiques exactes; enfin je passe dans le camp ennemi avec armes et bagages. Mais voilà un grand embarras : dans lequel de ces camps vais-je passer, puisqu’il y a autant de camps que d’auteurs différens ? Me voilà en péril d’être tiré à quatre systèmes, ce qui est pis que d’être tiré à quatre chevaux !

Pour parler sérieusement, je dois une mention particulière à l’ouvrage intitulé : Quære et invenies, comme tableau fidèle d’expériences exposées dans leur native simplicité. On y verra des esprits ou mediums sans gêne qui écrivent en toutes lettres sous un tiroir renversé, et des coups frappés si vigoureusement que la trace du marteau reste perceptible après le choc. Les réponses mal faites et le merveilleux avortant y sont manifestes. Quant à l’essai de théorie que contient l’ouvrage, elle ne semble pas encore amenée à maturité.

L’auteur d’un autre écrit intitulé : Comment l’esprit vient aux tables, lequel, avec raison, n’admet pas les esprits agissans, me semble avoir négligé dans ses explications les effets acoustiques, et avoir trop donné à l’influence morale, dont je reconnais avec lui l’énergique coopération. Il a produit par l’influence morale seule les effets ordinaires du magnétisme et des manifestations. C’est là un important résultat. On reconnaît ici la même puissance qui en médecine produit des miracles avec l’imagination pour auxiliaire[1].

  1. Un seigneur musulman se plaignait à moi que nos médecins ne fussent pas hakims, comme en Orient, ce qui veut dire qu’il leur reprochait de n’être pas un peu magiciens. Je n’ose pas énoncer que le charlatanisme médical qui administre au malade la thérapeutique de l’espérance et l’hygiène de la foi peut être souvent très efficace.