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— Comment ? s’écrie la fermière. Fainéante, va ! Allons, allume le feu! Vite, ou je prends un bâton pour t’éveiller, propre à rien que tu es !

La jeune fille se leva, et alla vers l’âtre pour exécuter l’ordre si :brusquement donné par la fermière. Elle devait être habituée depuis longtemps à ce cruel traitement, car son visage de marbre ne trahit ni tristesse ni souffrance; seulement la tache rouge qui enflammait sa joue attestait assez que le coup qu’elle avait reçu devait l’avoir douloureusement meurtrie.

Dès que la fermière vit le feu flamber sous la :marmite aux vaches, elle se posta au pied de l’escalier et cria de toute sa force : — Debout, debout, paresseux ! debout, ou je vais vous faire lever, dormeurs! Allons, Trine, Barbe, Jean ! Debout! il est quatre heures!

Peu d’instans après, les personnages appelés descendirent. Quant à ce qui concerne Trine et Barbe, c’étaient les filles de la fermière, et elles pouvaient avoir un peu moins de vingt ans; du reste, comme la plupart des paysannes, elles étaient replètes, fortement bâties, et n’avaient rien qui les distinguât spécialement.

Le jeune homme que sa mère avait nommé Jean n’accusait pas plus de dix-sept ans; les traits de son visage étaient rudes, mais réguliers et mâles; ses regards courant d’un objet à l’autre et sa mobile physionomie attestaient que, si la nature ne l’avait pas doué d’une haute intelligence, du moins était-il un beau et alerte garçon. Ses yeux bleus et ses longs cheveux blonds donnaient à sa figure un cachet de bonté et de douceur, qualités que son cœur possédait réellement.

Lui seul s’approcha de la jeune servante, qui se tenait debout près du feu, et lui dit à voix basse : — Bonjour, Lena ! — A quoi une voix plus basse encore répondit : — Bonjour, Jean. Je vous remercie.

Avant que chaque habitant de la ferme allât à son travail, le café Fut servi sur la table, et la fermière coupa les tartines de chacun. La jeune Lena reçut pour sa part un morceau de pain qui n’eût pas suffi à apaiser la faim d’un enfant. Néanmoins elle ne parut pas y faire attention, et ses yeux même ne se plaignirent pas de la cruauté de la fermière. Jean contemplait Lena avec une pitié profonde, et lorsqu’il remarqua que la jeune fille avait mangé la plus grande partie de son pain, il y substitua des morceaux du sien chaque fois qu’il vit sa mère tourner les yeux.

Après le déjeuner, Jean et ses sœurs sortirent de la maison pour reprendre leur labeur de chaque jour. Lena resta, à la ferme avec la fermière pour surveiller la baratte, tandis que le chien ferait tourner le moulin à beurre[1].

  1. Sorte de roue en tambour dans laquelle on fait entrer un chien qui la met en mouvement.