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Le fer rouge lance
L’étincelle, et bout.
Rikke-tikke-tou!

Ce rêve aussi s’achève. Le jeune homme, tout songeur, quitte le hêtre et s’avance dans la bruyère. Il gravit un coteau sablonneux ; parvenu au sommet, il enfonce devant lui sa houlette dans le sable, en pose l’extrémité sur son épaule, y appuie son bras droit, et demeure immobile comme une statue. Son œil est dirigé vers un point bleuâtre qui apparaît au dernier plan du lointain horizon, et d’où part un chemin tortueux qui sillonne la bruyère de ses courbes capricieuses et vient se perdre à peu de distance du coteau.

Que peut attendre là le mélancolique adolescent ? Qu’espère-t-il que lui amènera le sentier de la bruyère ? Vers qui le vent porte-t-il les soupirs pénibles et étouffés qui s’échappent de son sein ? Écoutez : lui-même le dit, car ses soupirs se transforment en un mot, en un nom prononcé avec amour, avec douleur : — Lena!... Monique!...

Derrière lui, une jeune paysanne gravit la colline ; arrivée près du jeune homme, elle dit d’un ton aigre : — Jean, il faut venir à la maison !

Il tressaille, se retourne, et jette un regard de reproche sur celle qui vient troubler sa rêverie. Toutefois sa physionomie devient bientôt calme et indifférente; il descend le coteau en disant : — Je viens, sœur!

Tandis qu’il la suit la tête penchée, la jeune fille lui adresse ces paroles : — C’est une belle vie que tu mènes avec tous tes caprices ! Tu penses sans doute que le pain se gagne en rêvant ! Depuis trois mois, te voilà fou comme cette fainéante Lena, qui est partie avec son père, à ce qu’on dit ! Tu peux te vanter d’avoir bien appris d’elle ses sottises ! Tu es là-haut à bayer aux corneilles du matin au soir et par tous les temps... A ta place je serais honteux ! Tu laisses notre mère malade se démener dans son lit, et tu vas ton train ! Si cela continue, la ferme sera bientôt à rien, nous sur la paille et toi à Gheel[1].

Jean ne répondit rien à ces reproches et parut même ne pas les entendre. Il laissa dire sa sœur sans s’émouvoir le moins du monde de ses paroles, et la suivit ainsi, avec une apparente indifférence, jusqu’à la ferme.


VI.

Une après-dînée, Jean se retrouvait rêveur devant le hêtre, et contemplait des marques gravées depuis peu dans l’écorce lisse de l’arbre. Le pauvre jeune homme avait l’air maladif et languissant; un ton

  1. Village de la Campine où l’on envoie en traitement la plupart des fous du pays.