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Et il porta les deux mains à ses yeux, d’où s’échappa un torrent de larmes.

Une demi-heure après, la main dans la main du curé, il s’en allait vers la ferme.


VII.

Lorsque Monique quitta la bruyère pour la France, une joie profonde remplissait son cœur; son rêve était réalisé : elle avait trouvé celui dont, pendant tant d’années, son regard avait épié la venue du haut de la colline sablonneuse. Tout entière à l’amour de son père, choyée sans cesse par ses tendres caresses, elle oublia peu à peu que quelqu’un dans la ferme solitaire devait se désoler de son départ, et bientôt le souvenir de sa vie passée et de celui qui, dans son malheur, avait été pour elle un protecteur et un ami, ce souvenir, disons-nous, parut s’être entièrement effacé de son âme.

Arrivée à Paris avec le colonel, on lui donna les meilleurs maîtres, et comme elle avait une belle intelligence et se voyait encouragée par les éloges continuels de son père, elle sut, en quatre années, tout ce qu’a besoin de savoir une fille élevée pour briller dans le monde, si la nature l’a douée de beauté.

Bientôt un doux coloris se montra sur les joues de Monique, et elle se fortifia physiquement. Une félicité que rien ne venait altérer lui avait rendu la santé; on eût dit que la maladie de langueur qui la minait avait tout à fait abandonné sa victime. L’homme s’accoutume à tout, et peut-être plus tôt au bonheur qu’à tout le reste. Ainsi en alla-t-il avec Monique; pendant une année entière, elle trouva plaisir à tout; elle fréquenta les soirées et les bals, elle aima le monde et désira ses applaudissemens…

Cependant cette jouissance insoucieuse et libre de tout mélange ne fut pas de longue durée; parfois de fugitives réminiscences passaient sous les yeux de Monique, et, dans le cours de la seconde année, de taciturnes rêveries parurent de nouveau s’emparer d’elle. Sollicitée par les accens entraînans de la musique, sous l’éclat des lustres, au milieu du bruit des fêtes, elle restait toujours distraite comme si un mystérieux souvenir l’eût pour suivie. C’était en effet un souvenir du passé, et un souvenir tout enfantin, qui faisait battre son cœur; elle-même avoua à son père que par momens elle revoyait devant elle la bruyère, le grand hêtre et les genévriers vacillans. Elle fit cet aveu en riant et plaisanta sur son mal rêveur, comme elle l’appelait.

Voyait-elle aussi dans cette vaporeuse apparition de la bruyère une forme humaine, un jeune homme qui pleurait son absence ? Qui