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Jean vinrent à se fixer sur elle, et recula sa chaise comme pour fuir une funèbre apparition.

Le malade passa le bras au cou de sa bienfaitrice, l’attira tout près de lui, et lui dit probablement quelque chose à l’oreille, car la vieille alla aussitôt prendre ses habits, les déposa sur le lit et ferma les rideaux. Elle revint à la table, et dit tout bas avec joie à Trine encore toute tremblante : — Il va se lever ! — Cette confidence ne parut nullement tranquilliser la voisine, car elle pâlit et jeta vers la porte un regard plein d’anxiété. Sans nul doute, l’effroi la poussait à quitter la chambre avant l’apparition de ce jeune homme, tout semblable à un fantôme ; la curiosité féminine la retint cependant clouée sur sa chaise. Quelques instans après, les rideaux du lit s’ouvrirent. La mère Teerlinck s’élança vers le malade, l’aida à descendre de sa couche, et soutint ses pas jusqu’à la table.

Ce squelette vivant serait-il le jeune paysan que nous connaissons ? Oui, c’est lui, l’infortuné! Les os percent à travers la peau sans couleur; ses yeux sont profondément enfoncés dans l’orbite; son dos est voûté; sa tête inerte penche de côté. Ces vêtemens ou plutôt ces haillons sales et grossiers ne peuvent couvrir qu’un mendiant. qu’est-il donc arrivera Jean ?

Il s’arrête devant la compatissante vieille et presse une de ses mains dans les siennes; il contemple sa bienfaitrice avec cette expression de tendresse qui n’appartient qu’aux enfans : — Bonne maman, dit-il, je désire sortir. Cela vous ferait-il de la peine ?

— Jean, mon garçon, répondit la vieille femme, vous êtes encore si faible! Vous courez risque de tomber... et pensez combien je serai inquiète !

La sollicitude de la vieille était si profondément empreinte sur son visage ridé, que Jean fut ému jusqu’au fond du cœur en rencontrant son regard doux et affectueux.

— Maman, dit-il, pourquoi m’aimez-vous tant ? Oui, soyez mon ange gardien ! Ce que personne n’a pu faire, l’amour désintéressé d’une pauvre femme le fera peut-être. Cœur excellent! au bord de la tombe, il vous reste encore assez de tendresse pour rendre la vie douce à un malheureux tel que moi et pour le retirer du gouffre du plus profond désespoir... Oh! j’ai prié Dieu de vous bénir! et jugez de ma reconnaissance pour vous, bonne maman : c’est la première prière que, depuis sept ans, j’ai pu adresser au ciel sans distraction !

La parole du jeune homme avait une animation étrange, et ce ton enthousiaste fit une profonde impression sur Trine ; ses inquiétudes étaient complètement dissipées, et, la bouche béante et les yeux large ouverts, elle écoutait la voix du jeune homme, voix qui