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s’étaient compromis ou abaissés. Le prestige sacré de l’honneur s’était affaibli, comme celui de la loi. La nation même, cet assemblage si difficile à définir dans la vaste étendue de nos états modernes, semblait avoir beaucoup perdu aux yeux de l’Europe, non pas seulement par ce renouvellement d’une lutte inégale et d’un désastre imprudemment attiré, mais par une preuve de plus d’instabilité dans ses opinions, dans ses choix, ou de faiblesse dans sa manière de les défendre.

Et cependant, il faut le reconnaître, malgré ces fâcheux incidens, malgré les difficultés des choses et les fautes des hommes, un seul fait, une seule idée, l’idée du droit à fonder et à maintenir, la puissance nouvelle d’une charte constitutionnelle, l’introduction croissante des principes de liberté pacifia, releva, enrichit la France, et la fit passer, en quelques années, de la plus cruelle dépression à un réveil plein de force et d’espérance. Une telle révolution morale, un tel progrès des institutions ne peut s’expliquer sans doute que par un grand travail des esprits, par des facilités nouvelles offertes à l’émulation, un heureux concours de tous les efforts intelligens.

À ce titre, l’influence des lettres sous la restauration est donc une part importante et très curieuse des annales politiques de ce temps. Elle sera fort diverse. Elle se composera d’une double réaction contre et pour le passé, qui venait de disparaître. Tantôt elle remontera, dans ses admirations, plus d’un siècle en arrière, pour chercher, par haine de la révolution et de l’empire, des types plus purs de dignité morale, à défaut de liberté, et des exemples de pouvoir absolu sans tyrannie; tantôt elle tâchera de reprendre l’œuvre interrompue et sur quelques points désavouée du XVIIIe siècle, ressuscitera ses passions, s’armera de sa licence, ressaisira tout le carquois de Voltaire pour assaillir le peu qui restait du passé sous le faux nom de tout ce qui n’était plus; tantôt, fuyant à l’extrême opposé, elle exagérera la tradition même dont elle veut s’appuyer; elle en dépassera systématiquement les plus glorieux interprètes : elle trouvera Bossuet hérétique et Massillon révolutionnaire.

A côté de ces deux courans d’opinions en sens inverse, l’un remontant impétueusement vers un passé lointain, l’autre pressé de répandre tous les flots suspendus du XVIIIe siècle, il y aura sans doute aussi des sources nouvelles dirigées vers l’avenir, un cours généreux d’idées philosophiques et morales, liées au nouveau droit public qu’avait reçu la France, aux idées de justice et de liberté garantie, à la discussion publique des lois, à la moralité de la tribune, à cette puissance infaillible des nobles sentimens sur les hommes assemblés, hormis dans quelques époques d’oppression matérielle.

Entre tous ces mouvemens rapides et resserrés dans cet espace