Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/589

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restauration. Mais ce n’est pas assez : le consulat et l’empire nous renverront plus loin encore; car si cette époque mémorable fut marquée par le génie de Chateaubriand sous sa première forme, si elle seconda même le premier essor de ce génie par le spectacle dont elle saisit ses regards, par cette reconstruction du temple qu’elle lui donnait à célébrer, cette même époque avait été précédée des généreuses maximes et des vœux de liberté de Mme de Staël, et de toute l’école vraiment constitutionnelle et modérée qui bientôt allait s’anéantir devant le bruit et la gloire des armes.

Ainsi donc, de l’empire, à le considérer dans l’ordre intellectuel et à y chercher les germes d’un avenir littéraire et le point de départ d’une époque de l’esprit moderne, il restait surtout la grande imagination et la brillante renommée de l’auteur du Génie du Christianisme et des Martyrs. Ces deux ouvrages avaient rempli la mesure et atteint la limite de ce qui était loisible à la pensée éloquente au début et sous les derniers accroissemens de la puissance absolue. L’écrivain, d’abord complice involontaire des prestiges dont s’entourait une illustre ambition, avait eu la liberté de l’indignation et du blâme contre les crimes révolutionnaires, dont cette ambition héritait. Il avait eu de plus pour lui-même et pour ses écrits tout le souffle de faveur populaire qui s’attachait à une restauration religieuse inaugurée par la force, comme un gage d’ordre et de paix, et souhaitée par le malheur comme une protestation secrète et un appui.

Plus tard, après ce long retentissement du Génie du Christianisme et ce succès à la fois d’opposition et d’adhésion officielle qui en avait accueilli les pages séduisantes, le même homme, dans les Martyrs et dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, avait su se donner à lui-même, malgré les suspicions croissantes du pouvoir, cette dernière liberté qui tire sa force de la réticence ou de l’allusion, et dans une œuvre de vigoureux talent, écrite au milieu de la pâleur et du silence d’une littérature asservie, ce fonds d’indépendance, même caché sous les parures de la fiction et de l’art, avait encore soulevé fortement les âmes, et occupé par de grands souvenirs et de poétiques images un public auquel étaient interdites la discussion légale, la réflexion libre, et qui, seulement par la gloire et la souffrance, participait à de terribles réalités qu’il n’avait pas le droit de juger.

Cependant il faut l’avouer, à part M. de Chateaubriand, ce favori du consulat péniblement supporté par l’empire, nulle supériorité durable dans les lettres, nul type d’originalité libre et vraie ne semblait pouvoir s’acclimater et se développer dans les vastes domaines du puissant dictateur de la France, car nous n’inscrirons pas à titre de génie indépendant M. de Bonald, qui, depuis la journée d’Iéna, avait, dans le Mercure de France, prêté foi et hommage au